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CONDUITE DE FRANÇOIS Ier.

été de nos jours par le maréchal de Belle-Isle[1]. On peut, ce me semble, tirer un grand fruit de l’histoire, en comparant les temps et les événements. C’est un plaisir digne d’un bon citoyen d’examiner par quelles ressources on a chassé dans le même terrain et dans les mêmes occasions deux armées victorieuses. On ne sait guère, dans l’oisiveté des grandes villes, quels efforts il en coûte pour rassembler des vivres dans un pays qui en fournit à peine à ses habitants, pour avoir de quoi payer le soldat, pour lui fournir le nécessaire sur son crédit, pour garder des rivières, pour enlever aux ennemis des postes avantageux dont ils se sont emparés. Mais de tels détails n’entrent point dans notre plan : il n’est nécessaire de les examiner que dans le temps même de l’action ; ce sont les matériaux de l’édifice, on ne les compte plus quand la maison est construite.

L’empereur fut obligé de sortir de ce pays dévasté, et de regagner l’Italie avec une armée diminuée par les maladies contagieuses. La France, envahie de ce côté, regarda sa délivrance comme un triomphe ; mais il eût été plus beau de l’empêcher d’entrer que de s’applaudir de le voir sortir.

Ce qui caractérise davantage les démêlés de Charles-Quint et de François Ier, et les secousses qu’ils donnèrent à l’Europe, c’est ce mélange bizarre de franchise et de duplicité, d’emportements de colère et de réconciliation, des plus sanglants outrages et d’un prompt oubli, des artifices les plus raffinés et de la plus noble confiance.

Il y eut des choses horribles, il y en eut de ridicules.

François, dauphin, fils de François Ier, meurt d’une pleurésie (1536) : on accuse un Italien, nommé Montécuculli, son échanson, de l’avoir empoisonné ; on regarde Charles-Quint comme l’auteur du crime. Qu’aurait gagné l’empereur à faire périr par le poison un prince de dix-huit ans qui n’avait jamais fait parler de lui, et qui avait un frère ? Montécuculli fut écartelé : voilà ce qui est horrible ; voici le ridicule.

François Ier, qui par le traité de Madrid n’était plus suzerain de la Flandre et de l’Artois, et qui n’était sorti de prison qu’à cette condition, fait citer l’empereur au parlement de Paris, en qualité de comte de Flandre et d’Artois, son vassal. L’avocat général Cappel prend des conclusions contre Charles-Quint, et le parlement de Paris le déclare rebelle.

Peut-on s’attendre que Charles et François se verront familiè-

  1. En 1746. Voir le chapitre xx du Précis du Siècle de Louis XV.