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DE LA FRANCE, ET DE L’ANGLETERRE.

d’Artevelt[1], était un de ces citoyens que les souverains doivent perdre ou ménager : le prodigieux crédit qu’il avait le rendit nécessaire à Édouard ; mais il ne voulut employer ce crédit en faveur du roi anglais qu’à condition qu’Édouard prendrait le titre de roi de France, afin de rendre les deux rois irréconciliables. Le roi d’Angleterre et le brasseur signèrent le traité à Gand, longtemps après avoir commencé les hostilités contre la France. L’empereur Louis de Bavière se ligua avec le roi d’Angleterre avec plus d’appareil que le brasseur, mais avec moins d’utilité pour Édouard.

Remarquez avec une grande attention le préjugé qui régna si longtemps dans la république allemande, revêtue du titre d’empire romain. Cet empereur Louis, qui possédait seulement la Bavière (1338), investit le roi Édouard III, dans Cologne[2], de la dignité de vicaire de l’empire, en présence de presque tous les princes et de tous les chevaliers allemands et anglais ; là il prononce que le roi de France est déloyal et perfide, qu’il a forfait la protection de l’empire, déclarant tacitement par cet acte Philippe de Valois et Édouard ses vassaux.

L’Anglais s’aperçut bientôt que le titre de vicaire était aussi vain par lui-même que celui d’empereur quand l’Allemagne ne le secondait pas ; et il conçut un tel dégoût pour l’anarchie allemande que depuis, lorsqu’on lui offrit l’empire, il ne daigna pas l’accepter.

Cette guerre commença par montrer quelle supériorité la nation anglaise pouvait un jour avoir sur mer. Il fallait d’abord qu’Édouard III tentât de débarquer en France avec une grande armée, et que Philippe l’en empêchât : l’un et l’autre équipèrent en très-peu de temps chacun une flotte de plus de cent vaisseaux ; ces navires n’étaient que de grosses barques ; Édouard n’était pas, comme le roi de France, assez riche pour les construire à ses dépens : des cent vaisseaux anglais, vingt lui appartenaient, le reste était fourni par toutes les villes maritimes d’Angleterre. Le pays était si peu riche en espèces que le prince de Galles n’avait que vingt schellings par jour pour sa paye ; l’évêque de Derham, un des amiraux de la flotte, n’en avait que six, et les barons quatre. Les plus pauvres vainquirent les plus riches, comme il arrive presque toujours. Les batailles navales étaient alors plus meurtrières qu’aujourd’hui : on ne se servait pas du canon, qui fait tant de bruit, mais on tuait beaucoup plus de monde ; les

  1. Ou plutôt Jacquemart Artevelde. (G. A.)
  2. A Coblentz.