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CHAPITRE CXXIII.

cessaire à l’État qu’à saint Martin ; mais cette ressource montrait un besoin pressant, il y avait déjà quelques années que le roi avait vendu vingt charges nouvelles de conseillers du parlement de Paris. La magistrature ainsi à l’encan, et l’enlèvement des ornements des tombeaux, ne marquaient que trop le dérangement des finances. Il se voyait seul contre l’Europe ; et cependant, loin de se décourager, il résista de tous côtés. On mit si bon ordre aux frontières de Picardie que l’Anglais, quoiqu’il eût dans Calais la clef de la France, ne put entrer dans le royaume ; on tint en Flandre la fortune égale ; on ne fut point entamé du côté de l’Espagne ; enfin le roi, auquel il ne restait en Italie que le château de Crémone, voulut aller lui-même reconquérir le Milanais, ce fatal objet de l’ambition des rois de France.

Pour avoir tant de ressources, et pour oser rentrer dans le Milanais lorsqu’on était attaqué partout, vingt charges de conseillers et la grille de saint Martin ne suffisaient pas : on aliéna pour la première fois le domaine du roi ; on haussa les tailles et les autres impôts. C’était un grand avantage qu’avaient les rois de France sur leurs voisins ; Charles-Quint n’était despotique à ce point dans aucun de ses États ; mais cette facilité funeste de se ruiner produisit plus d’un malheur en France.

On peut compter parmi les causes des disgrâces de François Ier l’injustice qu’il fit au connétable de Bourbon, auquel il devait le succès de la journée de Marignan. C’était peu qu’on l’eût mortifié dans toutes les occasions : Louise de Savoie, duchesse d’Angoulême, mère du roi, qui avait voulu se marier au connétable devenu veuf, et qui en avait essuyé un refus, voulut le ruiner, ne pouvant l’épouser ; elle lui suscita un procès reconnu pour très injuste par tous les jurisconsultes ; il n’y avait que la mère toute-puissante d’un roi qui pût le gagner.

Il s’agissait de tous les biens de la branche de Bourbon. Les juges, trop sollicités, donnèrent un arrêt qui, mettant ses biens en séquestre, dépouillait le connétable. Ce prince envoie l’évêque d’Autun, son ami, demander au roi au moins une surséance. Le roi ne veut pas seulement voir l’évêque. Le connétable au désespoir était déjà sollicité secrètement par Charles-Quint. Il eût été héroïque de bien servir et de souffrir ; il y a une autre sorte de grandeur, celle de se venger. Charles de Bourbon prit ce funeste parti : il quitta la France et se donna à l’empereur. Peu d’hommes ont goûté plus pleinement ce triste plaisir de la vengeance.

Tous les historiens flétrissent le connétable du nom de traître. On pouvait, il est vrai, l’appeler rebelle et transfuge ; il faut