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CHAPITRE CXXII.

titre de défenseurs des papes, et de protecteurs des princes ; et ces titres, depuis près de dix ans, n’étaient point imaginaires.

Le roi, qui marchait à Milan, négociait toujours avec eux. Le cardinal de Sion, qui leur apprit à tromper, fit amuser le roi de vaines promesses, jusqu’à ce que les Suisses, ayant su que la caisse militaire de France était arrivée, crurent pouvoir enlever cet argent et le roi même : ils l’attaquèrent comme on attaque un convoi sur le grand chemin.

(1515) Vingt-cinq mille Suisses, portant sur l’épaule et sur la poitrine la clef de saint Pierre, les uns armés de ces longues piques de dix-huit pieds que plusieurs soldats poussaient ensemble en bataillon serré, les autres tenant leurs grands espadons à deux mains, vinrent fondre à grands cris dans le camp du roi, près de Marignan, vers Milan : ce fut de toutes les batailles données en Italie la plus sanglante et la plus longue. Le jeune roi, pour son coup d’essai, s’avança à pied contre l’infanterie suisse, une pique à la main, combattit une heure entière, accompagné d’une partie de sa noblesse. Les Français et les Suisses, mêlés ensemble dans l’obscurité de la nuit, attendirent le jour pour recommencer. On sait que le roi dormit sur l’affût d’un canon, à cinquante pas d’un bataillon suisse. Ces peuples, dans cette bataille, attaquèrent toujours, et les Français furent toujours sur la défensive : c’est, me semble, une preuve assez forte que les Français, quand ils sont bien conduits, peuvent avoir ce courage patient qui est quelquefois aussi nécessaire que l’ardeur impétueuse qu’on leur accorde. Il était beau, surtout à un jeune prince de vingt et un ans, de ne perdre point le sang-froid dans une action si vive et si longue. Il était difficile, puisqu’elle durait, que les Suisses fussent vainqueurs, parce que les bandes noires d’Allemagne qui étaient avec le roi faisaient une infanterie aussi ferme que la leur, et qu’ils n’avaient point de gendarmerie : tout ce qui surprend, c’est qu’ils purent résister près de deux jours aux efforts de ces grands chevaux de bataille qui tombaient à tout moment sur leurs bataillons rompus. Le vieux maréchal de Trivulce appelait cette journée une bataille de géants. Tout le monde convenait que la gloire de cette victoire était due principalement au fameux connétable Charles de Bourbon, depuis trop mal récompensé, et qui se vengea trop bien. Les Suisses fuirent enfin, mais sans déroute totale, laissant sur le champ de bataille plus de dix mille de leurs compagnons, et abandonnant le Milanais aux vainqueurs. Maximilien Sforce fut pris et emmené en France comme Louis le Maure, mais avec des conditions plus douces (1515) : il devint sujet, au lieu que