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ÉTAT DE L’EUROPE AU XVIe SIÈCLE.

que celui qu’ils avaient pillé ; mais, volés eux-mêmes dès longtemps par ces Tartares, quelles richesses pouvaient-ils avoir ? ils ne connaissaient guère que le nécessaire.

Le pays de Moscou produit de bon blé qu’on sème en mai, et qu’on recueille en septembre : la terre porte quelques fruits ; le miel y est commun, ainsi qu’en Pologne ; le gros et le menu bétail y a toujours été en abondance ; mais la laine n’était point propre aux manufactures, et les peuples grossiers n’ayant aucune industrie, les peaux étaient leurs seuls vêtements. Il n’y avait pas à Moscou une seule maison de pierre. Leurs huttes de bois étaient faites de troncs d’arbres enduits de mousse. Quant à leurs mœurs, ils vivaient en brutes, ayant une idée confuse de l’Église grecque, de laquelle ils croyaient être. Leurs pasteurs les enterraient avec un billet pour saint Pierre et pour saint Nicolas, qu’on mettait dans la main du mort. C’était là leur plus grand acte de religion ; mais au delà de Moscou, vers le nord-est, presque tous les villages étaient idolâtres.

(1551) Les czars, depuis Jean Basilides, eurent des richesses, surtout lorsqu’un autre Jean Basilowitz eut pris Gasan et Astracan sur les Tartares ; mais les Russes furent toujours pauvres : ces souverains absolus, faisant presque tout le commerce de leur empire, et rançonnant ceux qui avaient gagné de quoi vivre, eurent bientôt des trésors, et ils étalèrent même une magnificence asiatique dans les jours de solennité. Ils commerçaient avec Constantinople par la mer Noire, avec la Pologne par Novogorod. Ils pouvaient donc policer leurs États, mais le temps n’en était pas venu. Tout le nord de leur empire par delà Moscou consistait dans de vastes déserts et dans quelques habitations de sauvages. Ils ignoraient même que la vaste Sibérie existât. Un Cosaque[1] découvrit la Sibérie sous ce Jean Basilowitz, et la conquit comme Cortez conquit le Mexique, avec quelques armes à feu.

Les czars prenaient peu de part aux affaires de l’Europe, excepté dans quelques guerres contre la Suède au sujet de la Finlande, ou contre la Pologne pour des frontières. Nul Moscovite ne sortait de son pays : ils ne trafiquaient sur aucune mer, excepté le Pont-Euxin. Le port même d’Archangel était alors aussi inconnu que ceux de l’Amérique. Il ne fut découvert que dans l’année 1553 par les Anglais, lorsqu’ils cherchèrent de nouvelles terres vers le nord, à l’exemple des Portugais et des Espagnols, qui avaient fait

  1. Nommé Anika. Voyez, sur cette découverte, L’Histoire de Russie, de Voltaire, chapitre i.