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CHAPITRE CXIX.


CHAPITRE CXIX.


État de l’Europe du temps de Charles Quint. De la Moscovie ou Russie. Digression sur la Laponie.


Avant de voir ce que fut l’Europe sous Charles-Quint, je dois me former un tableau des différents gouvernements qui la partageaient. J’ai déjà vu ce qu’étaient l’Espagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre. Je ne parlerai de la Turquie et de ses conquêtes en Syrie et en Afrique qu’après avoir vu tout ce qui se passa d’admirable et de funeste chez les chrétiens, et lorsque, ayant suivi les Portugais dans leurs voyages et dans leur commerce militaire en Asie, j’aurai vu en quel état était le monde oriental.

Je commence par les royaumes chrétiens du Septentrion. L’État de la Moscovie ou Russie prenait quelque forme. Cet empire si puissant, et qui le devient tous les jours davantage, n’était depuis le XIe siècle qu’un assemblage de demi-chrétiens sauvages, esclaves des Tartares de Casan descendants de Tamerlan. Le duc de Russie payait tous les ans un tribut à ces Tartares en argent, en pelleteries, et en bétail. Il conduisait le tribut à pied devant l’ambassadeur tartare, se prosternait à ses pieds, lui présentait du lait à boire ; et s’il en tombait sur le cou du cheval de l’ambassadeur, le prince était obligé de le lécher. Les Russes étaient, d’un côté, esclaves des Tartares ; de l’autre, pressés par les Lithuaniens ; et vers l’Ukraine, ils étaient encore exposés aux déprédations des Tartares de la Crimée, successeurs des Scythes de la Chersonèse Taurique, auxquels ils payaient un tribut. Enfin il se trouva un chef nommé Jean Basilides, ou fils de Basile, homme de courage, qui anima les Russes, s’affranchit de tant de servitude, et joignit à ses États Novogorod et la ville de Moscou, qu’il conquit sur les Lithuaniens à la fin du XVe siècle. Il étendit ses conquêtes dans la Finlande, qui a été souvent un sujet de rupture entre la Russie et la Suède.

La Russie fut donc alors une grande monarchie, mais non encore redoutable à l’Europe. On dit que Jean Basilides ramena de Moscou trois cents chariots chargés d’or, d’argent, et de pierreries. Les fables sont l’histoire des temps grossiers. Les peuples de Moscou, non plus que les Tartares, n’avaient alors d’argent