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IDÉE GÉNÉRALE DU XVIe SIÈCLE.

François Ier opéra en partie ce grand changement. Il y eut entre Charles-Quint et lui une émulation de gloire, d’esprit de chevalerie, de courtoisie, au milieu même de leurs plus furieuses dissensions ; et cette émulation, qui se communiqua à tous les courtisans, donna à ce siècle un air de grandeur et de politesse inconnu jusqu’alors. Cette politesse brillait même au milieu des crimes : c’était une robe d’or et de soie ensanglantée.

L’opulence y contribua ; et cette opulence, devenue plus générale, était en partie (par une étrange révolution) la suite de la perte funeste de Constantinople : car bientôt après tout le commerce des Ottomans fut fait par les chrétiens, qui leur vendaient jusqu’aux épiceries des Indes, en les allant charger sur leurs vaisseaux dans Alexandrie, et les portant ensuite dans les mers du Levant. Les Vénitiens surtout firent ce commerce non-seulement jusqu’à la conquête de l’Égypte par le sultan Sélim, mais jusqu’au temps où les Portugais devinrent les négociants des Indes.

L’industrie fut partout excitée. Marseille fit un grand commerce. Lyon eut de belles manufactures. Les villes des Pays-Bas furent plus florissantes encore que sous la maison de Bourgogne. Les dames appelées à la cour de François Ier en firent le centre de la magnificence, comme de la politesse. Les mœurs étaient plus dures à Londres, où régnait un roi capricieux et féroce ; mais Londres commençait déjà à s’enrichir par le commerce.

En Allemagne, les villes d’Augsbourg et de Nuremberg, répandant les richesses de l’Asie qu’elles tiraient de Venise, se ressentaient déjà de leur correspondance avec les Italiens. On voyait dans Augsbourg de belles maisons dont les murs étaient ornés de peintures à fresque à la manière vénitienne. En un mot, l’Europe voyait naître de beaux jours ; mais ils furent troublés par les tempêtes que la rivalité entre Charles-Quint et François Ier excita ; et les querelles de religion, qui déjà commençaient à naître, souillèrent la fin de ce siècle : elles la rendirent affreuse, et y portèrent enfin une espèce de barbarie que les Hérules, les Vandales, et les Huns, n’avaient jamais connue.

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