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CHAPITRE CXV.

trant le fils du duc d’York : « Lequel voulez-vous pour votre roi, dit-il, ou ce jeune prince, ou Henri de Lancastre ? » Le peuple répondit : York. Les cris de la multitude tinrent lieu d’une délibération du parlement. Il n’y en avait point de convoqué pour lors. Warwick assembla quelques seigneurs et quelques évêques. Ils jugèrent que Henri VI de Lancastre avait enfreint la loi du parlement parce que sa femme avait combattu pour lui. Le jeune York fut donc reconnu dans Londres sous le nom d’Édouard IV, tandis que la tête de son père était encore attachée aux murailles d’York, comme celle d’un coupable. On ôta la couronne à Henri VI, qui avait été déclaré roi de France et d’Angleterre au berceau, et qui avait régné à Londres trente-huit années, sans qu’on eût pu jamais lui rien reprocher que sa faiblesse.

Sa femme, à cette nouvelle, rassembla dans le nord d’Angleterre jusqu’à soixante mille combattants. C’était un grand effort. Elle ne hasarda cette fois ni la personne de son mari, ni celle de son fils, ni la sienne. Warwick conduisit son jeune roi à la tête de quarante mille hommes contre l’armée de la reine. On se trouva en présence à Santon, vers les bords de la rivière d’Aire, aux confins de la province d’York. (1461) Ce fut là que se donna la plus sanglante bataille qui ait dépeuplé l’Angleterre. Il y périt, disent les contemporains, plus de trente-six mille hommes. Il faut toujours faire attention que ces grandes batailles se donnaient par une populace effrénée, qui abandonnait pendant quelques semaines sa charrue et ses pâturages ; l’esprit de parti l’entraînait. On combattait alors de près, et l’acharnement produisait ces grands massacres dont il y a peu d’exemples depuis que des troupes réglées combattent pour de l’argent, et que les peuples oisifs attendent à quel vainqueur leurs blés appartiendront.

Warwick fut pleinement victorieux, le jeune Édouard IV affermi, et Marguerite d’Anjou abandonnée. Elle s’enfuit dans l’Écosse avec son mari et son fils. Alors le roi Édouard fit ôter des murs d’York la tête de son père pour y mettre celle des généraux ennemis. Chaque parti dans le cours de ces guerres exterminait tour à tour, par la main des bourreaux, les principaux prisonniers. L’Angleterre était un vaste théâtre de carnage, où les échafauds étaient dressés de tous côtés sur les champs de bataille. La France avait été aussi malheureuse sous Philippe de Valois, sous Jean, sous Charles VI ; mais elle le fut par les Anglais, qui sous leur Henri VI et jusqu’à leur Henri VII ne furent malheureux que par eux-mêmes.

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