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DE LA LIGUE DE CAMBRAI.

lonis nomen[1] ; « je détruirai jusqu’au nom de Babylone. » Il était honteux de s’en vanter quand on était si loin de l’exécuter ; et d’ailleurs, quel rapport de Paris à Jérusalem, et de Rome à Babylone ?

Les actions de courage les plus brillantes, souvent même des batailles gagnées, ne servent qu’à illustrer une nation, et non à l’agrandir, quand il y a dans le gouvernement politique un vice radical qui à la longue porte la destruction. C’est ce qui arriva aux Français en Italie. Le brave chevalier Bayard fit admirer sa valeur et sa générosité. Le jeune Gaston de Foix rendit à vingt-trois ans son nom immortel, en repoussant d’abord une armée de Suisses, en passant rapidement quatre rivières, en chassant le pape de Bologne, en gagnant la célèbre bataille de Ravenne, où il acquit tant de gloire, et où il perdit la vie (1512). Tous ces faits d’armes rapides étaient éclatants ; mais le roi était éloigné, les ordres arrivaient trop tard, et quelquefois se contredisaient. Son économie, quand il fallait prodiguer l’or, donnait peu d’émulation. L’esprit de subordination était inconnu dans les troupes. L’infanterie était composée d’étrangers allemands, mercenaires peu attachés. La galanterie des Français, et l’air de supériorité qui convenait à des vainqueurs irritait les Italiens humiliés et jaloux. Le coup fatal fut porté quand l’empereur Maximilien, gagné enfin par le pape, fit publier les avocatoires impériaux par lesquels tout soldat allemand qui servait sous les drapeaux de France devait les quitter, sous peine d’être déclaré traître à la patrie.

Les Suisses descendent aussitôt de leurs montagnes contre ces Français qui, au temps de la ligue de Cambrai, avaient l’Europe pour alliée, et qui maintenant l’avaient pour ennemie. Ces montagnards se faisaient un honneur de mener avec eux le fils de ce duc de Milan, Louis le Maure, et d’expier, en couronnant le fils, la trahison qu’ils avaient faite au père.

Les Français, commandés par le maréchal de Trivulce, abandonnent l’une après l’autre toutes les villes qu’ils avaient prises du fond de la Romagne aux confins de la Savoie. Le fameux Bayard faisait de belles retraites ; mais c’était un héros obligé de fuir. Il n’y eut que trois mois entre la victoire de Ravenne et la totale expulsion des Français, Louis XII eut encore une destinée plus triste que Charles VIII : car du moins les Français s’étaient ouvert une retraite glorieuse sous Charles par la bataille de For-

  1. Isaïe, XIV, 22.