Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome12.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
194
CHAPlTRE CXIII.


CHAPITRE CXIII.


De la ligue de Cambrai, et quelle en fut la suite.
Du pape Jules II, etc.


Le pape Jules II, né à Savone, domaine de Gênes, voyait avec indignation sa patrie sous le joug de la France. Un effort que fit Gênes en ce temps-là pour recouvrer son ancienne liberté avait été puni par Louis XII avec plus de faste que de rigueur. Il était entré dans la ville l’épée nue à la main ; il avait fait brûler en sa présence tous les privilèges de la ville ; ensuite, ayant fait dresser son trône dans la grande place sur un échafaud superbe, il fit venir les Génois au pied de l’échafaud, qui entendirent leur sentence à genoux. Il ne les condamna qu’à une amende de cent mille écus d’or, et bâtit une citadelle qu’il appela la bride de Gênes.

Le pape, qui, comme tous ses prédécesseurs, aurait voulu chasser tous les étrangers d’Italie, cherchait à renvoyer les Français au delà des Alpes ; mais il voulait d’abord que les Vénitiens s’unissent avec lui, et commençassent par lui remettre beaucoup de villes que l’Église réclamait. La plupart de ces villes avaient été arrachées à leurs possesseurs par le duc de Valentinois, César Borgia ; et les Vénitiens, toujours attentifs à leurs intérêts, s’étaient emparés, immédiatement après la mort d’Alexandre VI, de Rimini, de Faenza, de beaucoup de terres dans la Romagne, dans le Ferrarois, et dans le duché d’Urbin. Ils voulurent retenir leurs conquêtes. Jules II se servit alors contre Venise des Français mêmes, contre lesquels il eût voulu l’armer. Ce ne fut pas assez des Français, il fit entrer toute l’Europe dans la ligue.

Il n’y avait guère de souverain qui ne pût redemander quelque territoire à cette république. L’empereur Maximilien avait des prétentions illimitées comme empereur. Un fait très-intéressant, qui n’a pas été connu à l’abbé Dubos dans son excellente Histoire de la Ligue de Cambrai, un fait qui nous paraît aujourd’hui très-extraordinaire, et qui pourtant ne l’était pas aux yeux de la chancellerie allemande, c’est que l’empereur Maximilien avait cité déjà le doge Loredano et tout le sénat de Venise à comparaître devant lui, et à demander pardon de n’avoir pas souffert qu’il passât par leur territoire avec des troupes pour aller se faire couronner empereur à Rome. Le sénat n’ayant point obéi à ses