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CHAPITRE CVII.

fut grand vizir pour récompense. Il n’est pas probable qu’on ait fait ministre et général un barbier. Si Zizim avait été ainsi assassiné, le roi Charles VIII, qui renvoya son corps à son frère, aurait su ce genre de mort ; les contemporains en auraient parlé. Le prince Cantemir, et ceux qui accusent Alexandre VI, peuvent se tromper également. La haine qu’on portait à ce pontife, et qu’il méritait si bien, lui imputa tous les crimes qu’il pouvait commettre.

Le pape, ayant juré de ne plus inquiéter le roi dans sa conquête, sortit de sa prison, et reparut en pontife sur le théâtre du Vatican. Là, dans un consistoire public, le roi vint prêter ce qu’on appelle hommage d’obédience, assisté de Jean de Gannai, premier président du parlement de Paris, qui semblait devoir être ailleurs qu’à cette cérémonie. Le roi baisa les pieds de celui que deux jours auparavant il voulait faire condamner comme un criminel ; et, pour achever la scène, il servit la messe d’Alexandre VI. Guichardin, auteur contemporain très-accrédité, assure que dans l’église le roi se plaça au-dessous du doyen des cardinaux. Il ne faut donc pas tant s’étonner que le cardinal de Bouillon, doyen du sacré collège, ait de nos jours, en s’appuyant de ces anciens usages, écrit à Louis XIV : « Je vais prendre la première place du monde chrétien après la suprême. »

Charlemagne s’était fait déclarer dans Rome empereur d’Occident ; Charles VIII y fut déclaré empereur d’Orient, mais d’une manière bien différente. Un Paléologue, neveu de celui qui avait perdu l’empire et la vie, céda très-inutilement à Charles VIII et à ses successeurs un empire qu’on ne pouvait plus recouvrer.

Après cette cérémonie, Charles s’avança au royaume de Naples. Alfonse II, nouveau roi de ce pays, haï de ses sujets comme son père, et intimidé par l’approche des Français, donna au monde l’exemple d’une lâcheté nouvelle. Il s’enfuit secrètement à Messine, et se fit moine chez les Olivétains. Son fils Fernando, devenu roi, ne put rétablir les affaires que l’abdication de son père faisait voir désespérées. Abandonné bientôt des Napolitains, il leur remit leur serment de fidélité, après quoi il se retira dans la petite île d’Ischia, située à quelques milles de Naples.

Charles, maître du royaume et arbitre de l’Italie (1495), entra dans Naples en vainqueur, sans avoir presque combattu. Il prit les titres prématurés d’Auguste et d’empereur. Mais dans ce temps-là même presque toute l’Europe travaillait sourdement à lui faire perdre la couronne de Naples. Le pape, les Vénitiens, le duc de Milan, Louis le Maure, l’empereur Maximilien, Ferdinand