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CHAPITRE LXXIV.

douze mille citoyens de Padoue au xiiie siècle. Le légat qui le combattit en fit mourir autant de Vicence, de Vérone, et de Ferrare. Ezzelin fut enfin fait prisonnier, et toute sa famille mourut dans les plus affreux supplices. Une famille de citoyens de Vérone, nommée Scala, que nous appelons L’Escale, s’empara du gouvernement sur la fin du xiiie siècle, et y régna cent années ; cette famille soumit, vers l’an 1330, Padoue, Vicence, Trévise, Parme, Brescia, et d’autres territoires ; mais au xve siècle il ne resta pas la plus légère trace de cette puissance. Les Viscontis, les Sforces, ducs de Milan, ont passé plus tard et sans retour. De tous les seigneurs qui partageaient la Romagne, l’Ombrie, l’Émilie, il ne reste aujourd’hui que deux ou trois familles devenues sujettes du pape.

Si vous recherchez les annales des villes d’Italie, vous n’en trouverez pas une dans laquelle il n’y ait eu des conspirations conduites avec autant d’art que celle de Catilina. On ne pouvait dans de si petits États ni s’élever ni se défendre avec des armées : les assassinats, les empoisonnements, y suppléèrent souvent. Une émeute du peuple faisait un prince, une autre émeute le faisait tomber : c’est ainsi que Mantoue, par exemple, passa de tyrans en tyrans jusqu’à la maison de Gonzague, qui s’y établit en 1328.

Venise seule a toujours conservé sa liberté, qu’elle doit à la mer qui l’environne, et à la prudence de son gouvernement. Gênes, sa rivale, lui fit la guerre, et triompha d’elle sur la fin du xive siècle ; mais Gênes ensuite déclina de jour en jour, et Venise s’éleva toujours jusqu’au temps de Louis XII et de l’empereur Maximilien, où nous la verrons intimider l’Italie, et donner de la jalousie à toutes les puissances qui conspirent pour la détruire. Parmi tous ces gouvernements, celui de Venise était le seul réglé, stable, et uniforme : il n’avait qu’un vice radical, qui n’en était pas un aux yeux du sénat, c’est qu’il manquait un contre-poids à la puissance patricienne, et un encouragement aux plébéiens. Le mérite ne put jamais, dans Venise, élever un simple citoyen, comme dans l’ancienne Rome. La beauté du gouvernement d’Angleterre, depuis que la chambre des communes a part à la législation, consiste dans ce contre-poids et dans ce chemin toujours ouvert aux honneurs pour quiconque en est digne[1].

Pise, qui n’est aujourd’hui qu’une ville dépeuplée, dépendante de la Toscane, était aux xiiie et xive siècles une république

  1. Ici l’édition de Kehl renvoie à une note sur l’article Gouvernement anglais, dans le Dictionnaire philosophique : cette note ne s’y trouve point. (B.)