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CHAPITRE CV.

C’était ce Louis le Maure qui négociait avec Charles VIII, pour faire descendre les Français en Italie.

La Toscane, pays moins fertile, était au Milanais ce que l’Attique avait été à la Béotie : car depuis un siècle Florence se signalait, comme on a vu, par le commerce et par les beaux-arts. Les Médicis étaient à la tête de cette nation polie : aucune maison dans le monde n’a jamais acquis la puissance par des titres si justes ; elle l’obtint à force de bienfaits et de vertus. Cosme de Médicis, né en 1389, simple citoyen de Florence, vécut sans rechercher de grands titres ; mais il acquit par le commerce des richesses comparables à celles des plus grands rois de son temps : il s’en servit pour secourir les pauvres, pour se faire des amis parmi les riches en leur prêtant son bien, pour orner sa patrie d’édifices, pour appeler à Florence les savants grecs chassés de Constantinople ; ses conseils furent pendant trente années les lois de sa république ; ses bienfaits furent ses principales intrigues, et ce sont toujours les plus sûres. On vit après sa mort, par ses papiers, qu’il avait prêté à ses compatriotes des sommes immenses, dont il n’avait jamais exigé le moindre payement : il mourut regretté de ses ennemis mêmes (1464). Florence, d’un commun consentement, orna son tombeau du nom de Père de la patrie, titre qu’aucun des rois qui ont passé devant vos yeux n’avait pu obtenir.

Sa réputation valut à ses descendants la principale autorité dans la Toscane : son fils l’administra sous le nom de gonfalonier. (1478) Ses deux petits-fils, Laurent et Julien, maîtres de la république, furent assassinés dans une église par des conjurés, au moment où on élevait l’hostie ; Julien en mourut ; Laurent échappa. Le gouvernement des Florentins ressemblait à celui des Athéniens, comme leur génie : il était tantôt aristocratique, tantôt populaire, et on n’y craignait rien tant que la tyrannie.

Cosme de Médicis pouvait être comparé à Pisistrate, qui, malgré son pouvoir, fut mis au nombre des sages. Les petits-fils de ce Cosme eurent le sort des enfants de Pisistrate, assassinés par Harmodius et Aristogiton : Laurent échappa aux meurtriers comme un des enfants de Pisistrate, et vengea comme lui la mort de son frère. Mais ce qu’on n’avait point vu dans Athènes, et ce qu’on vit à Florence, c’est que les chefs de la religion tramèrent cette conspiration sanguinaire.

On peut, par cet événement, se former une idée très-juste de l’esprit et des mœurs de ces temps-là. La Rovère, Sixte IV, était souverain pontife. Je n’examinerai pas ici avec Machiavel si les