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SUITE DE L’ÉTAT DE L’EUROPE AU XVe SIÈCLE.

même ni le Montferrat ni Saluces, manquant d’argent et de commerce, n’était pas regardé comme une barrière. Ses souverains étaient attachés à la maison de France, qui depuis peu, dans leur minorité, avait disposé du gouvernement ; et les passages des Alpes étaient ouverts.

On descend du Piémont dans le Milanais, le pays le plus fertile de l’Italie citérieure : c’était encore, ainsi que la Savoie, une principauté de l’empire, mais principauté puissante, très-indépendante alors d’un empire faible. Après avoir appartenu aux Viscontis, cet État avait passé sous les lois du bâtard d’un paysan, grand homme et fils d’un grand homme : ce paysan est François Sforce, devenu par son mérite connétable de Naples et puissant en Italie. Le bâtard son fils avait été un de ces condottieri, chef de brigands disciplinés qui louaient leurs services aux papes, aux Vénitiens, aux Napolitains. Il avait pris Milan vers le milieu du xve siècle, et s’était ensuite emparé de Gênes, qui autrefois était si florissante, et qui, ayant soutenu neuf guerres contre Venise, flottait alors d’esclavage en esclavage. Elle s’était donnée aux Français du temps de Charles VI ; elle s’était révoltée (1458) ; elle prit ensuite le joug de Charles VII, et le secoua encore ; elle voulut se donner à Louis XI, qui répondit qu’elle pouvait se donner au diable, et que pour lui il n’en voulait point. Ce fut alors qu’elle fut contrainte de se livrer à ce duc de Milan, François Sforce (1464).

Galéas Sforce, fils de ce bâtard, fut assassiné dans la cathédrale de Milan le jour de Saint-Étienne (1476). Je rapporte cette circonstance, qui ailleurs serait frivole, et qui est ici très-importante : car les assassins prièrent saint Étienne et saint Ambroise à haute voix de leur donner assez de courage pour assassiner leur souverain. L’empoisonnement, l’assassinat, joints à la superstition, caractérisaient alors les peuples de l’Italie ; ils savaient se venger, et ne savaient guère se battre ; on trouvait beaucoup d’empoisonneurs et peu de soldats, et tel était le destin de ce beau pays depuis le temps des Othon. De l’esprit, de la superstition, de l’athéisme, des mascarades, des vers, des trahisons, des dévotions, des poisons, des assassinats, quelques grands hommes, un nombre infini de scélérats habiles, et cependant malheureux : voilà ce que fut l’Italie. Le fils de ce malheureux Galéas, Marie, encore enfant, succéda au duché de Milan, sous la tutelle de sa mère et du chancelier Simonetta ; mais son oncle, que nous appelons Ludovic Sforce, ou Louis le Maure, chassa la mère, fit mourir le chancelier, et bientôt après empoisonna son neveu.