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DES DUELS.

Charles-Quint et François Ier se défièrent, s’envoyèrent des cartels, se dirent « qu’ils avaient menti par la gorge », et ne se battirent point. Il n’y a pas un seul exemple de rois qui aient combattu en champ clos ; mais le nombre des chevaliers qui prodiguèrent leur sang dans ces aventures est prodigieux.

Nous avons déjà cité[1] le cartel de ce duc de Bourbon qui, pour éviter l’oisiveté, proposait un combat à outrance à l’honneur des dames.

Un des plus fameux cartels est celui de Jean de Verchin, chevalier de grande renommée, et sénéchal du Hainaut : il fit afficher dans toutes les grandes villes de l’Europe qu’il se battrait à outrance, seul ou lui sixième, avec l’épée, la lance et la hache, « avec l’aide de Dieu, de la sainte Vierge, de monsieur saint George et de sa dame ». Le combat se devait faire dans un village de Flandre, nommé Conchy ; mais personne n’ayant comparu pour venir se battre contre ce Flamand, il fit vœu d’aller chercher des aventures dans tout le royaume de France et en Espagne, toujours armé de pied en cap ; après quoi il alla offrir un bourdon à monseigneur saint Jacques en Galice : on voit par là que l’original de don Quichotte était de Flandre.

Le plus horrible duel qui fut jamais proposé, et pourtant le plus excusable, est celui du dernier duc de Gueldre, Arnoud ou Arnaud, dont les États tombèrent dans la branche de France de Bourgogne, appartinrent depuis à la branche d’Autriche espagnole, et dont une partie est libre aujourd’hui.

(1470) Adolphe, fils de ce dernier duc Arnoud, fit la guerre à son père du temps de Charles le Téméraire, duc de Bourgogne ; et cet Adolphe déclara publiquement devant Charles que son père avait joui assez longtemps, qu’il voulait jouir à son tour ; et que si son père voulait accepter une petite pension de trois mille florins, il la lui ferait volontiers. Charles, qui était très-puissant avant d’être malheureux, engagea le père et le fils à comparaître en sa présence. Le père, quoique vieux et infirme, jeta le gage de bataille, et demanda au duc de Bourgogne la permission de se battre contre son fils dans sa cour. Le fils l’accepta, le duc Charles ne le permit pas ; et le père ayant justement déshérité son coupable fils, et donné ses États à Charles, ce prince les per-

  1. Chapitre cxxi. Ce qui forme aujourd’hui le chapitre cxxi existait dans l’édition de 1756 ; c’est dans l’édition de 1761 que Voltaire a ajouté ce qui forme aujourd’hui le chapitre c. Voilà comment dans ce chapitre il a pu dire : « Nous avons déjà cité. » (B.)