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CHAPITRE C.

La Mark, prince souverain de Sedan. Henri croyait ne point violer son serment, en ordonnant aux parties d’aller se tuer ailleurs qu’en son royaume. La cour de Lorraine s’opposa formellement à cet honneur que recevait le maréchal de La Marck. Elle envoya protester dans Sedan que tous les duels entre le Rhin et la Meuse devaient, par les lois de l’empire, se faire par l’ordre et en présence des souverains de Lorraine. Le camp n’en fut pas moins assigné à Sedan. Le motif de cet arrêt du roi Henri II, rendu en son conseil privé, était que l’un de ces deux gentilshommes, nommé Daguères, avait mis la main dans les chausses d’un jeune homme nommé Fendilles. Ce Fendilles, blessé dans le combat, ayant avoué qu’il avait tort, fut jeté hors du camp par les hérauts d’armes, et ses armes furent brisées ; c’était une des punitions du vaincu. On ne peut concevoir aujourd’hui comment une cause si ridicule pouvait être vidée par un combat juridique.

Il ne faut pas confondre avec tous ces duels, regardés comme l’ancien jugement de Dieu, les combats singuliers entre les chefs de deux armées, entre les chevaliers de partis opposés. Ces combats sont des faits d’armes, des exploits de guerre, de tout temps en usage chez toutes les nations.

On ne sait si on doit placer plusieurs cartels de défi de roi à roi, de prince à prince, entre les duels juridiques, ou entre les exploits de chevalerie : il y en eut de ces deux espèces.

Lorsque Charles d’Anjou, frère de saint Louis, et Pierre d’Aragon, se défièrent après les Vêpres siciliennes, ils convinrent de remettre la justice de leur cause à un combat singulier, avec la permission du pape Martin IV, comme le rapporte Jean-Baptiste Caraffa dans son histoire de Naples : le roi de France Philippe le Hardi leur assigna le camp de Bordeaux ; rien ne ressemble plus aux duels juridiques. Charles d’Anjou arriva le matin au lieu et au jour assignés, et prit acte du défaut de son ennemi, qui n’arriva que sur le soir. Pierre prit acte à son tour du défaut de Charles, qui ne l’avait pas attendu. Ce défi singulier eût été au rang des combats juridiques si les deux rois avaient eu autant d’envie de se battre que de se braver. Le duel qu’Édouard III fit proposer à Philippe de Valois appartient à la chevalerie. Philippe de Valois le refusa, prétendant que le seigneur suzerain ne pouvait être défié par son vassal ; mais lorsque ensuite le vassal eut défait les armées du suzerain, Philippe proposa le duel ; Édouard III, vainqueur, le refusa, disant qu’il était trop avisé pour remettre au hasard d’un combat singulier ce qu’il avait gagné par des batailles.