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DES DUELS.

(1442) Le parlement, longtemps après, dans une cause solennelle entre le chevalier Patarin et l’écuyer Tachon, déclara que le cas dont il s’agissait ne requérait pas gage de bataille, et qu’il fallait une accusation grave et dénuée de témoins pour que le duel fût légitimement ordonné.

Ce cas grave arriva en 1454. Un chevalier, nommé Jean Picard, accusé d’avoir abusé de sa propre fille, fut reçu par arrêt à se battre contre son gendre, qui était sa partie. Le Théâtre d’honneur et de chevalerie ne dit pas quel fut l’événement ; mais, quel qu’il fût, le parlement ordonna un parricide pour avérer un inceste.

Les évêques, les abbés, à l’imitation des parlements et du conseil étroit des rois, ordonnèrent aussi le combat en champ clos dans leurs territoires. Yves de Chartres reproche à l’archevêque de Sens et à l’évêque d’Orléans d’avoir autorisé ainsi trop de duels pour des affaires civiles. Geoffroi du Maine, évêque d’Angers (1100), obligea les moines de Saint-Serga de prouver par le combat que certaines dîmes leur étaient dues ; et le champion des moines, homme robuste, gagna leur cause à coups de bâton.

Sous la dernière race des ducs de Bourgogne, les bourgeois des villes de Flandre jouissaient du droit de prouver leurs prétentions avec le bouclier et la massue de mesplier ; ils oignaient de suif leur pourpoint, parce qu’ils avaient entendu dire qu’autrefois les athlètes se frottaient d’huile ; ensuite ils plongeaient les mains dans un baquet plein de cendres, et mettaient du miel ou du sucre dans leurs bouches ; après quoi ils combattaient jusqu’à la mort, et le vaincu était pendu.

La liste de ces combats en champ clos, commandés ainsi par les souverains, serait trop longue. Le roi François Ier en ordonna deux solennellement, et son fils Henri II en ordonna aussi deux. Le premier de ceux qu’ordonna Henri fut celui de Jarnac et de La Châteigneraye (1547). Celui-ci soutenait que Jarnac couchait avec sa belle-mère, celui-là le niait : était-ce là une raison pour un monarque de commander, de l’avis de son conseil, qu’ils se coupassent la gorge en sa présence ? Mais telles étaient les mœurs. Chacun des deux champions jura sur les Évangiles qu’il combattait pour la vérité, et qu’il « n’avait sur lui ni paroles, ni charmes, ni incantations ». La Châteigneraye étant mort de ses blessures, Henri II fit serment qu’il n’ordonnerait plus les duels ; et deux ans après il donna dans son conseil privé des lettres patentes par lesquelles il était enjoint à deux jeunes gentilshommes d’aller se battre en champ clos à Sedan, sous les yeux du maréchal de