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CHAPITRE C.

raissaient au jour assigné dans une lice de quatre-vingts pas de long et de quarante de large, gardée par des sergents d’armes. Ils arrivaient « à cheval, visière baissée, écu au col, glaive au poing, épées et dagues ceintes ». Il leur était enjoint de porter un crucifix, ou l’image de la Vierge, ou celle d’un saint, dans leurs bannières. Les hérauts d’armes faisaient ranger les spectateurs tous à pied autour des lices. Il était défendu d’être à cheval au spectacle, sous peine, pour un noble, de perdre sa monture, et, pour un bourgeois, de perdre une oreille.

Le maréchal du camp, aidé d’un prêtre, faisait jurer les deux combattants sur un crucifix que leur droit était bon, et qu’ils n’avaient point d’armes enchantées ; ils en prenaient à témoin monsieur saint George, et renonçaient au paradis s’ils étaient menteurs. Ces blasphèmes étant prononcés, le maréchal criait : Laissez-les aller ; il jetait un gant ; les combattants partaient, et les armes du vaincu appartenaient au maréchal.

Les mêmes formules s’observaient à peu près en Angleterre. Elles étaient très-différentes en Allemagne : on lit dans le Théâtre d’honneur[1] et dans plusieurs anciennes chroniques, que d’ordinaire le bourg de Hall en Souabe était le champ de ces combats. Les deux ennemis venaient demander permission aux notables de Souabe assemblés, d’entrer en lice. On donnait à chaque combattant un parrain et un confesseur ; le peuple chantait un Libera, et on plaçait au bout de la lice une bière entourée de torches pour le vaincu. Les mêmes cérémonies s’observaient à Wisbourg.

Il y eut beaucoup de combats en champ clos dans toute l’Europe jusqu’au xiiie siècle. C’est des lois de ces combats que viennent les proverbes : « Les morts ont tort ; les battus payent l’amende. »

Les parlements de France ordonnèrent quelquefois ces combats, comme ils ordonnent aujourd’hui une preuve par écrit ou par témoins. (1143) Sous Philippe de Valois, le parlement jugea qu’il y avait gage de bataille et nécessité de se tuer entre le chevalier Dubois et le chevalier de Vervins, parce que Vervins avait voulu persuader à Philippe de Valois que Dubois avait ensorcelé Son Altesse le roi de France.

Le duel de Legris et de Garrouge, ordonné par le parlement, sous Charles VI, est encore fameux aujourd’hui. Il s’agissait de savoir si Legris avait couché ou non avec la femme de Garrouge malgré elle.

  1. Le Vrai Théâtre d’honneur et de chevalerie, par Vulson de la Colombière.