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DES TOURNOIS.

très-grand jusque vers le temps qui suivit la mort du roi de France Henri II, tué, comme on sait, dans un tournoi au palais des Tournelles (1559). Cet accident semblait devoir les abolir pour jamais.

La vie désoccupée des grands, l’habitude et la passion, renouvelèrent pourtant ces jeux funestes à Orléans, un an après la mort tragique de Henri II. Le prince Henri de Bourbon-Montpensier en fut encore la victime ; une chute de cheval le fit périr. Les tournois cessèrent alors absolument. Il en resta une image dans le pas d’armes, dont Charles IX et Henri III furent les tenants un an après la Saint-Barthélémy ; car les fêtes furent toujours mêlées, dans ces temps horribles, aux proscriptions. Ce pas d’armes n’était pas dangereux ; on n’y combattait pas à fer émoulu (1581). Il n’y eut point de tournoi au mariage du duc de Joyeuse. Le terme de tournoi est employé mal à propos à ce sujet dans le Journal de L’Étoile. Les seigneurs ne combattirent point ; et ce que L’Étoile appelle tournoi ne fut qu’une espèce de ballet guerrier représenté dans le jardin du Louvre par des mercenaires : c’était un des spectacles qu’on donnait à la cour, mais non pas un spectacle que la cour donnât elle-même. Les jeux que l’on continua depuis d’appeler tournois ne furent que des carrousels.

L’abolition des tournois est donc de l’année 1560. Avec eux périt l’ancien esprit de la chevalerie, qui ne reparut plus guère que dans les romans. Cet esprit régnait encore beaucoup au temps de François Ier et de Charles-Quint. Philippe II, renfermé dans son palais, n’établit en Espagne d’autre mérite que celui de la soumission à ses volontés. La France, après la mort de Henri II, fut plongée dans le fanatisme, et désolée par les guerres de religion. L’Allemagne, divisée en catholiques romains, luthériens, calvinistes, oublia tous les anciens usages de chevalerie, et l’esprit d’intrigue les détruisit en Italie.

À ces pas d’armes, aux combats à la barrière, à ces imitations des anciens tournois partout abolis, ont succédé les combats contre les taureaux en Espagne, et les carrousels en France, en Italie, en Allemagne. Il serait superflu de donner ici la description de ces jeux ; il suffira du grand carrousel qu’on verra dans le Siècle de Louis XIV. En 1750, le roi de Prusse donna dans Berlin un carrousel très-brillant[1] ; mais le plus magnifique et le plus singulier de tous a été celui de Saint-Pétersbourg, donné par l’im-

  1. Voyez sa description dans la Correspondance, lettre à d’Argental, du 28 auguste 1750.