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DES TOURNOIS.

Ces jeux s’appelaient d’abord chez les Français emprises, pardons d’armes ; et ce terme pardon signifiait qu’on ne se combattait pas jusqu’à la mort. On les nommait aussi béhourdis, du nom d’une armure qui couvrait le poitrail des chevaux[1]. René d’Anjou, roi de Sicile et de Jérusalem, duc de Lorraine, qui, ne possédant aucun de ses États, s’amusait à faire des vers et des tournois, fit de nouvelles lois pour ces combats.

« S’il veut faire un tournoi, ou béhourdis, dit-il dans ses lois, faut que ce soit quelque prince, ou du moins haut baron. » Celui qui faisait le tournoi envoyait un héraut présenter une épée au prince qu’il invitait, et le priait de nommer les juges du camp.

« Les tournois, dit ce bon roi René, peuvent être moult utiles ; car par adventure il pourra advenir que tel jeune chevalier ou écuyer, pour y bien faire, acquerra grâce ou augmentation d’amour de sa dame. »

On voit ensuite toutes les cérémonies qu’il prescrit ; comment on pend aux fenêtres ou aux galeries de la lice les armoiries des chevaliers qui doivent combattre les chevaliers, et des écuyers qui doivent jouter contre les écuyers.

Tout se faisait à l’honneur des dames, selon les lois du bon roi René. Elles visitaient toutes les armes, elles distribuaient les prix ; et si quelque chevalier ou écuyer du tournoi avait mal parlé de quelques-unes d’elles, les autres tournoyants le battaient de leurs épées, jusqu’à ce que les dames criassent grâce ; ou bien on le mettait sur les barrières de la lice, les jambes pendantes à droite et à gauche, comme on met aujourd’hui un soldat sur le cheval de bois.

Outre les tournois, on institua les pas d’armes ; et ce même roi René fut encore législateur dans ces amusements. Le pas d’armes de la gueule du dragon auprès de Chinon, en 1446, fut très-célèbre. Quelque temps après, celui du château de la joyeuse garde eut plus de réputation encore. Il s’agissait dans ces combats de défendre l’entrée d’un château, ou le passage d’un grand chemin, René eût mieux fait de tenter d’entrer en Sicile ou en Lorraine. La devise de ce galant prince était une chaufferette pleine de charbon, avec ces mots : porté d’ardent désir ; et cet ardent désir n’était pas pour ses États, qu’il avait perdus, c’était pour mademoiselle Gui de Laval, dont il était amoureux, et qu’il épousa après la mort d’Isabelle de Lorraine.

  1. Les béhours ou béhourdis étaient des siéges simulés où les deux partis assaillaient et défendaient une espèce de citadelle de bois.