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CHAPITRE XCVII.

Depuis ce moment, toutes les fois qu’il entendait la messe il tirait son épée à l’Évangile, et la tenait haute.

Cette installation était suivie de grandes fêtes, et souvent de tournois ; mais c’était le peuple qui les payait. Les seigneurs des grands fiefs imposaient une taxe sur leurs sujets pour le jour où ils armaient leurs enfants chevaliers : c’était d’ordinaire à l’âge de vingt et un ans que les jeunes gens recevaient ce titre. Ils étaient auparavant bacheliers, ce qui voulait dire bas chevaliers, ou varlets et écuyers ; et les seigneurs qui étaient en confraternité se donnaient mutuellement leurs enfants les uns aux autres pour être élevés, loin de la maison paternelle, sous le nom de varlets, dans l’apprentissage de la chevalerie.

Le temps des croisades fut celui de la plus grande vogue des chevaliers. Les seigneurs de fiefs, qui amenaient leurs vassaux sous leur bannière, furent appelés chevaliers bannerets ; non que ce titre seul de chevalier leur donnât le droit de paraître en campagne avec des bannières ; la puissance seule, et non la cérémonie de l’accolade, pouvait les mettre en état d’avoir des troupes sous leurs enseignes. Ils étaient bannerets en vertu de leurs fiefs, et non de la chevalerie. Jamais ce titre ne fut qu’une distinction introduite par l’usage, et non un honneur de convention, une dignité réelle dans l’État : il n’influa en rien dans la forme des gouvernements. Les élections des empereurs et des rois ne se faisaient point par des chevaliers ; il ne fallait point avoir reçu l’accolade pour entrer aux diètes de l’empire, aux parlements de France, aux cortes d’Espagne : les inféodations, les droits de ressort et de mouvance, les héritages, les lois, rien d’essentiel n’avait rapport à cette chevalerie. C’est en quoi se sont trompés tous ceux qui ont écrit de la chevalerie : ils ont écrit, sur la foi des romans, que cet honneur était une charge, un emploi ; qu’il y avait des lois concernant la chevalerie. Jamais la jurisprudence d’aucun peuple n’a connu ces prétendues lois : ce n’étaient que des usages. Les grands priviléges de cette institution consistaient dans les jeux sanglants des tournois : il n’était pas permis ordinairement à un bachelier, à un écuyer, de jouster contre un chevalier.

Les rois voulurent être eux-mêmes armés chevaliers, mais ils n’en étaient ni plus rois ni plus puissants ; ils voulaient seulement encourager la chevalerie et la valeur par leur exemple. On portait un grand respect dans la société à ceux qui étaient chevaliers : c’est à quoi tout se réduisait.

Ensuite, quand le roi Édouard III eut institué l’ordre de la Jarretière ; Philippe le Bon, duc de Bourgogne, l’ordre de la Toi-