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CHAPITRE LXXIII.

(1415) Enfin il comparut plusieurs fois, chargé de chaînes. On l’interrogea sur quelques passages de ses écrits. Il faut l’avouer, il n’y a personne qu’on ne puisse perdre en interprétant ses paroles : quel docteur, quel écrivain est en sûreté de sa vie si on condamne au bûcher quiconque dit « qu’il n’y a qu’une Église catholique qui renferme dans son sein tous les prédestinés ; qu’un réprouvé n’est pas de cette Église ; que les seigneurs temporels doivent obliger les prêtres à observer la loi ; qu’un mauvais pape n’est pas le vicaire de Jésus-Christ » ?

Voilà quelles étaient les propositions de Jean Hus. Il les expliqua toutes d’une manière qui pouvait obtenir sa grâce ; mais on les entendait de la manière qu’il fallait pour le condamner. Un père du concile lui dit : « Si vous ne croyez pas l’universel a parte rei, vous ne croyez pas la présence réelle. » Quel raisonnement, et de quoi dépendait alors la vie des hommes ! Un autre lui dit : « Si le sacré concile prononçait que vous êtes borgne, en vain seriez-vous pourvu de deux bons yeux, il faudrait vous confesser borgne. »

Jean Hus n’adoptait aucune des propositions de Wiclef, qui séparent aujourd’hui les protestants de l’Église romaine ; cependant il fut condamné à expirer dans les flammes. En cherchant la cause d’une telle atrocité, je n’ai jamais pu en trouver d’autre que cet esprit d’opiniâtreté qu’on puise dans les écoles. Les pères du concile voulaient absolument que Jean Hus se rétractât ; et Jean Hus, persuadé qu’il avait raison, ne voulait point avouer qu’il s’était trompé. L’empereur, touché de compassion, lui dit : « Que vous coûte-t-il d’abjurer des erreurs qui vous sont faussement attribuées ? Je suis prêt d’abjurer à l’instant toutes sortes d’erreurs, s’ensuit-il que je les aie tenues ? » Jean Hus fut inflexible. Il fit voir la différence entre abjurer des erreurs en général, et se rétracter d’une erreur. Il aima mieux être brûlé que de convenir qu’il avait eu tort.

Le concile fut aussi inflexible que lui : mais l’opiniâtreté de courir à la mort avait quelque chose d’héroïque ; celle de l’y condamner était bien cruelle. L’empereur, malgré la foi du sauf-conduit, ordonna à l’électeur palatin de le faire traîner au supplice. Il fut brûlé vif, en présence de l’électeur même, et loua Dieu jusqu’à ce que la flamme étouffât sa voix[1].

  1. Voyez Annales de l’Empire, année 1415.