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DU GOUVERNEMENT FÉODAL APRÈS LOUIS XI.

républiques, sous la protection des ducs de Bourgogne, qu’elles n’étaient soumises à la puissance arbitraire de ces ducs : il en était de même des villes impériales.

Vous avez vu[1] s’établir dans une grande partie de l’Europe l’anarchie féodale sous les successeurs de Charlemagne ; mais avant lui il y avait eu une forme plus régulière de fiefs sous les rois lombards en Italie. Les Francs qui entrèrent dans les Gaules partageaient les dépouilles avec Clovis : le comte de Boulainvilliers veut, par cette raison, que les seigneurs de châteaux soient tous souverains en France. Mais quel homme peut dire dans sa terre : Je descends d’un conquérant des Gaules ? et quand il serait sorti en droite ligne d’un de ces usurpateurs, les villes et les communes n’auraient-elles pas plus de droit de reprendre leur liberté que ce Franc ou ce Visigoth n’en avait eu de la leur ravir ?

On ne peut pas dire qu’en Allemagne la puissance féodale se soit établie par droit de conquête, ainsi qu’en Lombardie et en France. Jamais toute l’Allemagne n’a été conquise par des étrangers ; c’est cependant aujourd’hui de tous les pays de la terre le seul où la loi des fiefs subsiste véritablement. Les boyards de Russie ont leurs sujets ; mais ils sont sujets eux-mêmes, et ils ne composent point un corps comme les princes allemands. Les kans des Tartares, les princes de Valachie et de Moldavie, sont de véritables seigneurs féodaux qui relèvent du sultan turc ; mais ils sont déposés par un ordre du divan, au lieu que les seigneurs allemands ne peuvent l’être que par un jugement de toute la nation. Les nobles polonais sont plus égaux entre eux que les possesseurs des terres en Allemagne, et ce n’est pas là encore l’administration des fiefs. Il n’y a point d’arrière-vassaux en Pologne : un noble n’y est pas sujet d’un autre noble comme en Allemagne ; il est quelquefois son domestique, mais non son vassal. La Pologne est une république aristocratique où le peuple est esclave.

La loi féodale subsiste en Italie d’une manière différente. Tout est réputé fief de l’empire en Lombardie ; et c’est encore une source d’incertitudes, car les empereurs n’ont été dominateurs suprêmes de ces fiefs qu’en qualité de rois d’Italie, de successeurs des rois lombards ; et certainement une diète de Ratisbonne n’est pas roi d’Italie. Mais qu’est-il arrivé ? La liberté germanique ayant prévalu sur l’autorité impériale en Allemagne, l’empire étant devenu une chose différente de l’empereur, les fiefs italiens se sont dits vassaux de l’empire, et non de l’empereur : ainsi une

  1. Chapitre xxiv.