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DU ROI DE FRANCE LOUIS XI.

s’était fait donner le Dauphiné. L’Anjou et le Maine, qui appartenaient au comte de Provence, furent encore réunis à la couronne. L’habileté, l’argent, et le bonheur, accrurent petit à petit le royaume de France, qui depuis Hugues Capet avait été peu de chose, et que les Anglais avaient presque détruit. Ce même bonheur rejoignit la Bourgogne à la France, et les fautes du dernier duc rendirent au corps de l’État une province qui en avait été imprudemment séparée.

Ce temps fut en France le passage de l’anarchie à la tyrannie. Ces changements ne se font point sans de grandes convulsions. Auparavant les seigneurs féodaux opprimaient, et sous Louis XI ils furent opprimés. Les mœurs ne furent pas meilleures ni en France, ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni dans le Nord. La barbarie, la superstition, l’ignorance, couvraient la face du monde, excepté en Italie. La puissance papale asservissait toujours toutes les autres puissances, et l’abrutissement de tous les peuples qui sont au delà des Alpes était le véritable soutien de ce prodigieux pouvoir contre lequel tant de princes s’étaient inutilement élevés de siècle en siècle. Louis XI baissa la tête sous ce joug, pour être plus le maître chez lui. C’était sans doute l’intérêt de Rome que les peuples fussent imbéciles, et en cela elle était partout bien servie. On était assez sot à Cologne pour croire posséder les os pourris de trois prétendus rois qui vinrent, dit-on, du fond de l’Orient apporter de l’or à l’enfant Jésus dans une étable. On envoya à Louis XI quelques restes de ces cadavres, qu’on faisait passer pour ceux de ces trois monarques, dont il n’est pas même parlé dans les évangiles ; et l’on fit accroire à ce prince qu’il n’y avait que les os pourris des rois qui pussent guérir un roi. On a conservé une de ses lettres à je ne sais quel prieur de Notre-Dame de Salles, par laquelle il demande à cette Notre-Dame de lui accorder la fièvre quarte, attendu, dit-il, que les médecins l’assurent qu’il n’y a que la fièvre quarte qui soit bonne pour sa santé. L’impudent charlatanisme des médecins était donc aussi grand que l’imbécillité de Louis XI, et son imbécillité était égale à sa tyrannie. Ce portrait n’est pas seulement celui de ce monarque : c’est celui de presque toute l’Europe. Il ne faut connaître l’histoire de ces temps-là que pour la mépriser. Si les princes et les particuliers n’avaient pas quelque intérêt à s’instruire des révolutions de tant de barbares gouvernements, on ne pourrait plus mal employer son temps qu’en lisant l’histoire.