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DES SECTES DES GRECS.

en portions convenables : chacune de ces portions était mêlée du même et de l’autre ; et de la substance il fit sa division[1] ! »

Ensuite il explique, avec la même clarté, le quaternaire de Pythagore. Il faut convenir que des hommes raisonnables qui viendraient de lire l’Entendement humain de Locke prieraient Platon d’aller à son école.

Ce galimatias du bon Platon n’empêche pas qu’il n’y ait de temps en temps de très-belles idées dans ses ouvrages. Les Grecs avaient tant d’esprit qu’ils en abusèrent ; mais ce qui leur fait beaucoup d’honneur, c’est qu’aucun de leurs gouvernements ne gêna les pensées des hommes. Il n’y a que Socrate dont il soit avéré que ses opinions lui coûtèrent la vie ; et il fut encore moins la victime de ses opinions que celle d’un parti violent élevé contre lui. Les Athéniens, à la vérité, lui firent boire de la ciguë ; mais on sait combien ils s’en repentirent ; on sait qu’ils punirent ses accusateurs, et qu’ils élevèrent un temple à celui qu’ils avaient condamné. Athènes laissa une liberté entière non-seulement à la philosophie, mais à toutes les religions[2]. Elle recevait tous les dieux étrangers ; elle avait même un autel dédié aux dieux inconnus.

Il est incontestable que les Grecs reconnaissaient un Dieu suprême, ainsi que toutes les nations dont nous avons parlé. Leur Zeus, leur Jupiter, était le maître des dieux et des hommes. Cette opinion ne changea jamais depuis Orphée ; on la retrouve cent fois dans Homère : tous les autres dieux sont inférieurs. On peut les comparer aux péris des Perses, aux génies des autres nations orientales. Tous les philosophes, excepté les stratoniciens et les épicuriens, reconnurent l’architecte du monde, le Demiourgos.

Ne craignons point de trop poser sur cette vérité historique, que la raison humaine commencée adora quelque puissance, quelque être qu’on croyait au-dessus du pouvoir ordinaire, soit le soleil, soit la lune ou les étoiles ; que la raison humaine cultivée adora, malgré toutes ses erreurs, un Dieu suprême, maître

  1. Voyez dans le Dictionnaire philosophique, article Platon.
  2. Les prêtres excitèrent plus d’une fois le peuple d’Athènes contre les philosophes, et cette fureur ne fut fatale qu’à Socrate ; mais le repentir suivit bientôt le crime, et les accusateurs furent punis. On peut donc prétendre avec raison que les Grecs ont été tolérants, surtout si on les compare à nous, qui avons immolé à la superstition des milliers de victimes, par nos supplices recherchés, et en vertu de lois permanentes ; à nous, dont la sombre fureur s’est perpétuée pendant plus de quatorze siècles sans interruption ; à nous enfin, chez qui les lumières ont plutôt arrêté que détruit le fanatisme, qui s’immole encore des victimes, et dont les partisans payent encore des apologistes pour justifier ses anciennes fureurs. (K.)