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DE LA CHINE.

bout de l’Occident, de vouloir juger de cette cour orientale, et de lui attribuer l’athéisme. Par quelle fureur, en effet, quelques-uns d’entre nous ont-ils pu appeler athée un empire dont presque toutes les lois sont fondées sur la connaissance d’un être suprême, rémunérateur et vengeur ? Les inscriptions de leurs temples, dont nous avons des copies authentiques[1], sont : « Au premier principe, sans commencement et sans fin. Il a tout fait, il gouverne tout. Il est infiniment bon, infiniment juste ; il éclaire, il soutient, il règle toute la nature. »

On a reproché, en Europe, aux jésuites qu’on n’aimait pas, de flatter les athées de la Chine. Un Français appelé Maigrot, nommé par un pape évêque in partibus de Conon à la Chine, fut député par ce même pape pour aller juger le procès sur les lieux. Ce Maigrot ne savait pas un mot de chinois ; cependant il traita Confucius d’athée, sur ces paroles de ce grand homme : Le ciel m’a donné la vertu, l’homme ne peut me nuire. Le plus grand de nos saints n’a jamais débité de maxime plus céleste. Si Confucius était athée, Caton et le chancelier de L’Hospital l’étaient aussi.

Répétons ici[2], pour faire rougir la calomnie, que les mêmes hommes qui soutenaient contre Bayle qu’une société d’athées était impossible avançaient en même temps que le plus ancien gouvernement de la terre était une société d’athées. Nous ne pouvons trop nous faire honte de nos contradictions.

Répétons encore[3] que les lettrés chinois, adorateurs d’un seul Dieu, abandonnèrent le peuple aux superstitions des bonzes. Ils reçurent la secte de Laokium, et celle de Fo, et plusieurs autres. Les magistrats sentirent que le peuple pouvait avoir des religions différentes de celle de l’État, comme il a une nourriture plus grossière ; ils souffrirent les bonzes et les continrent. Presque partout ailleurs ceux qui faisaient le métier de bonzes avaient l’autorité principale.

Il est vrai que les lois de la Chine ne parlent point de peines et de récompenses après la mort ; ils n’ont point voulu affirmer ce qu’ils ne savaient pas. Cette différence entre eux et tous les grands peuples policés est très-étonnante. La doctrine de l’enfer était utile, et le gouvernement des Chinois ne l’a jamais admise. Ils se contentèrent d’exhorter les hommes à révérer le ciel et à

  1. Voyez seulement les estampes gravées dans la collection du jésuite du Halde. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez l’Essai sur les Mœurs, chapitre ii.
  3. Ibid.