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DE L’INDE.

Il n’y a guère que six-vingts ans que les Européans eurent les premières notions des cinq Kings ; et le Zend n’a été vu que par le célèbre docteur Hyde, qui n’eut pas de quoi l’acheter et de quoi payer l’interprète ; et par le marchand Chardin, qui ne voulut pas en donner le prix qu’on lui en demandait. Nous n’eûmes que cet extrait du Zend, ou ce Sadder dont j’ai déjà parlé[1].

Le hasard plus heureux a procuré à la bibliothèque de Paris un ancien livre des brames ; c’est l’Ézour-Veidam, écrit avant l’expédition d’Alexandre dans l’Inde, avec un rituel de tous les anciens rites des brachmanes, intitulé le Cormo-Veidam : ce manuscrit, traduit par un brame, n’est pas à la vérité le Veidam lui-même ; mais c’est un résumé des opinions et des rites contenus dans cette loi. Nous n’avons que depuis peu d’années le Shasta ; nous le devons aux soins et à l’érudition de M. Holwell, qui a demeuré très-longtemps parmi les brames. Le Shasta est antérieur au Veidam de quinze cents années, selon le calcul de ce savant Anglais[2]. Nous pouvons donc nous flatter d’avoir aujourd’hui quelque connaissance des plus anciens écrits qui soient au monde.

Il faut désespérer d’avoir jamais rien des Égyptiens ; leurs livres sont perdus, leur religion s’est anéantie : ils n’entendent plus leur ancienne langue vulgaire, encore moins la sacrée. Ainsi ce qui était plus près de nous, plus facile à conserver, déposé dans des bibliothèques immenses, a péri pour jamais ; et nous avons trouvé, au bout du monde, des monuments non moins authentiques, que nous ne devions pas espérer de découvrir.

On ne peut douter de la vérité, de l’authenticité de ce rituel des brachmanes dont je parle. L’auteur assurément ne flatte pas sa secte; il ne cherche point à déguiser les superstitions, à leur donner quelque vraisemblance par des explications forcées, à les excuser par des allégories. Il rend compte des lois les plus extravagantes avec la simplicité de la candeur. L’esprit humain paraît là dans toute sa misère. Si les brames observaient toutes les lois de leur Veidam, il n’y a point de moine qui voulût s’assujettir à cet état. A peine le fils d’un brame est-il né qu’il est l’esclave de la cérémonie. On frotte sa langue avec de la poix-résine détrempée dans de la farine; on prononce le mot oum ; on invoque vingt divi-

  1. Paragraphe xi.
  2. Voyez le Dictionnaire philosophique, articles Brachmanes, Ézour-Veidam, etc., et les chapitres iii et iv de L’Essai sur les Mœurs, etc. (Note de Voltaire.)