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DE L’INDE.

l’Immaüs pour subjuguer les habitants des bords de l’Inde, de l’Hydaspe, du Gange, les asservirent en se montrant.

C’est ce qui arriverait aujourd’hui à ces chrétiens primitifs, appelés Quakers, aussi pacifiques que les Indiens ; ils seraient dévorés par les autres nations, s’ils n’étaient protégés par leurs belliqueux compatriotes. La religion chrétienne, que ces seuls primitifs suivent à la lettre, est aussi ennemie du sang que la pythagoricienne. Mais les peuples chrétiens n’ont jamais observé leur religion, et les anciennes castes indiennes ont toujours pratiqué la leur : c’est que le pythagorisme est la seule religion au monde qui ait su faire de l’horreur du meurtre une piété filiale et un sentiment religieux. La transmigration des âmes est un système si simple, et même si vraisemblable aux yeux des peuples ignorants ; il est si facile de croire que ce qui anime un homme peut ensuite en animer un autre, que tous ceux qui adoptèrent cette religion crurent voir les âmes de leurs parents dans tous les hommes qui les environnaient. Ils se crurent tous frères, pères, mères, enfants les uns des autres : cette idée inspirait nécessairement une charité universelle ; on tremblait de blesser un être qui était de la famille. En un mot, l’ancienne religion de l’Inde, et celle des lettrés à la Chine, sont les seules dans lesquelles les hommes n’aient point été barbares. Comment put-il arriver qu’ensuite ces mêmes hommes, qui se faisaient un crime d’égorger un animal, permissent que les femmes se brûlassent sur le corps de leurs maris, dans la vaine espérance de renaître dans des corps plus beaux et plus heureux ? c’est que le fanatisme et les contradictions sont l’apanage de la nature humaine.

Il faut surtout considérer que l’abstinence de la chair des animaux est une suite de la nature du climat. L’extrême chaleur et l’humidité y pourrissent bientôt la viande ; elle y est une très-mauvaise nourriture : les liqueurs fortes y sont également défendues par la nature, qui exige dans l’Inde des boissons rafraîchissantes. La métempsycose passa, à la vérité, chez nos nations septentrionales ; les Celtes crurent qu’ils renaîtraient dans d’autres corps : mais si les druides avaient ajouté à cette doctrine la défense de manger de la chair, ils n’auraient pas été obéis.

Nous ne connaissons presque rien des anciens rites des brames, conservés jusqu’à nos jours : ils communiquent peu les livres du Hanscrit, qu’ils ont encore dans cette ancienne langue sacrée : leur Veidam, leur Shasta, ont été aussi longtemps inconnus que le Zend des Perses, et que les cinq Kings des Chinois.