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DE JEANNE, REINE DE NAPLES.

faire sortir de Naples le roi de Hongrie, stipule que Jeanne lui payera trois cent mille florins, Louis répond qu’il n’est pas venu pour vendre le sang de son frère, qu’il l’a vengé en partie, et qu’il part satisfait. L’esprit de chevalerie qui régnait alors n’a produit jamais ni plus de dureté ni plus de générosité.

La reine, chassée par son beau-frère, et rétablie par la faveur du pape, perdit son second mari (1376), et jouit seule du gouvernement quelques années. Elle épousa un prince d’Aragon qui mourut bientôt après ; enfin, à l’âge de quarante-six ans, elle se remarie avec un cadet de la maison de Brunswick, nommé Othon : c’était choisir plutôt un mari qui pût lui plaire qu’un prince qui la pût défendre. Son héritier naturel était un autre Charles de Durazzo, son cousin, seul reste alors de la première maison de France Anjou à Naples ; ces princes se nommaient ainsi, parce que la ville de Durazzo, conquise par eux sur les Grecs, et enlevée ensuite par les Vénitiens, avait été leur apanage : elle reconnut ce Durazzo pour son héritier, elle l’adopta même. Cette adoption et le grand schisme d’Occident hâtèrent la mort malheureuse de la reine.

Déjà éclataient les suites sanglantes de ce schisme, dont nous parlerons bientôt. Brigano[1] qui prit le nom d’Urbain VI, et le comte de Genève, qui s’appela Clément VII, se disputèrent la tiare avec fureur ; ils partageaient l’Europe. Jeanne prit le parti de Clément, qui résidait dans Avignon. Durazzo, ne voulant pas attendre la mort naturelle de sa mère adoptive pour régner, s’engagea avec Brigano-Urbain.

(1380) Ce pape couronne Durazzo dans Rome, à condition que son neveu Brigano aura la principauté de Capoue : il excommunie, il dépose la reine Jeanne ; et pour mieux assurer la principauté de Capoue à sa famille, il donne tous les biens de l’Église aux principales maisons napolitaines.

Le pape marche avec Durazzo vers Naples. L’or et l’argent des églises furent employés à lever une armée. La reine ne peut être secourue, ni par le pape Clément qu’elle a reconnu, ni par le mari qu’elle a choisi ; à peine a-t-elle des troupes : elle appelle contre l’ingrat Durazzo un frère de Charles V, roi de France, aussi du nom d’Anjou ; elle l’adopte à la place de Durazzo.

Ce nouvel héritier de Jeanne, Louis d’Anjou, arrive trop tard

  1. Les auteurs de l’Art de vérifier les dates, la Biographie universelle, et Voltaire lui-même, dans sa liste chronologique en tête des Annales de l’Empire, donnent Prignano pour le nom de famille d’Urbain VI.