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SUITE DE L’ÉTAT DE L’EMPIRE, DE L’ITALIE, ETC.

monde, et encore doivent-elles leur liberté à leurs rochers ou à la mer qui les défend. Les hommes sont très-rarement dignes de se gouverner eux-mêmes.

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CHAPITRE LXVIII.


Suite de l’état ou étaient l’empire, l’Italie, et la papauté,
au
XIVe siècle.


Nous avons entamé le XIVe siècle. Nous pouvons remarquer que depuis six cents ans Rome, faible et malheureuse, est toujours le principal objet de l’Europe ; elle domine par la religion, tandis qu’elle est dans l’avilissement et dans l’anarchie ; et malgré tant d’abaissement et tant de désordres, ni les empereurs ne peuvent y établir le trône des Césars, ni les pontifes s’y rendre absolus. Voilà depuis Frédéric II quatre empereurs de suite qui oublient entièrement l’Italie : Conrad IV, Rodolphe Ier, Adolphe de Nassau, Albert d’Autriche. Aussi c’est alors que toutes les villes d’Italie rentrent dans leurs droits naturels, et lèvent l’étendard de la liberté : Gênes et Pise sont les émules de Venise ; Florence devient une république illustre ; Bologne ne reconnaît alors ni empereurs ni papes : le gouvernement municipal prévaut partout, et surtout dans Rome (1312). Clément V, qu’on appela le pape gascon[1], aima mieux transférer le saint-siége hors d’Italie, et jouir en France des contributions payées alors par tous les fidèles, que disputer inutilement des châteaux et des villes auprès de Rome. La cour de Rome fut établie sur les frontières de France par ce pape ; et c’est ce que les Romains appellent encore aujourd’hui le temps de la captivité de Babylone. Clément allait de Lyon à Vienne en Dauphiné, à Avignon, menant publiquement avec lui la comtesse de Périgord, et tirant ce qu’il pouvait d’argent de la piété des fidèles : c’est celui que vous avez vu détruire le corps redoutable des templiers.

Comment les Italiens, dans ces conjonctures, ne firent-ils pas, loin des empereurs et des papes, ce qu’ont fait les Allemands,

  1. Bertrand de Goth (Clément V) avait été archevêque de Bordeaux.