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DU SUPPLICE DES TEMPLIERS.

de prendre main-forte (1309) ; leur envoie un ordre cacheté, avec défense, sous peine de la vie, de l’ouvrir avant le 13 octobre. Ce jour venu, chacun ouvre son ordre : il portait de mettre en prison tous les templiers. Tous sont arrêtés. Le roi aussitôt fait saisir en son nom les biens des chevaliers jusqu’à ce qu’on en dispose.

Il paraît évident que leur perte était résolue très longtemps avant cet éclat. L’accusation et l’emprisonnement sont de 1309[1] ; mais on a retrouvé des lettres de Philippe le Bel au comte de Flandre, datées de Melun, 1306, par lesquelles il le priait de se joindre à lui pour extirper les templiers.

Il fallait juger ce prodigieux nombre d’accusés. Le pape Clément V, créature de Philippe, et qui demeurait alors à Poitiers, se joint à lui après quelques disputes sur le droit que l’Église avait d’exterminer ces religieux, et le droit du roi de punir des sujets. Le pape interrogea lui-même soixante et douze chevaliers. Des inquisiteurs, des commissaires délégués, procèdent partout contre les autres. Les bulles sont envoyées chez tous les potentats de l’Europe pour les exciter à imiter la France. On s’y conforme en Castille, en Aragon, en Sicile, en Angleterre ; mais ce ne fut qu’en France qu’on fit périr ces malheureux. Deux cent et un témoins les accusèrent de renier Jésus-Christ en entrant dans l’ordre, de cracher sur la croix, d’adorer une tête dorée montée sur quatre pieds. Le novice baisait le profès qui le recevait, à la bouche, au nombril, et à des parties qui paraissaient peu destinées à cet usage. Il jurait de s’abandonner à ses confrères. Voilà, disent les informations conservées jusqu’à nos jours, ce qu’avouèrent soixante et douze templiers au pape même, et cent quarante-un de ces accusés à frère Guillaume, cordelier, inquisiteur dans Paris, en présence de témoins. On ajoute que le grand-maître de l’ordre même, et le grand-maître de Chypre, les maîtres de France, de Poitou, de Vienne, de Normandie, firent les mêmes aveux à trois cardinaux délégués par le pape.

(1312) Ce qui est indubitable, c’est qu’on fit subir les tortures les plus cruelles à plus de cent chevaliers, qu’on en brûla vifs cinquante-neuf en un jour, près de l’abbaye Saint-Antoine de Paris ; que le grand-maître Jacques de Molai, et Gui, frère du dauphin d’Auvergne, deux des principaux seigneurs de l’Europe, l’un par sa dignité, l’autre par sa naissance, furent aussi jetés

  1. L’accusation et l’emprisonnement sont de 1307 ; les arrêts sont de 1309. Voyez Voltaire lui-même, Histoire du Parlement, chapitre iv. (B.)