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CHAPITRE LXV.

pape, pour gagner du temps, canonisa saint Louis ; et les moines concluaient que si un homme disposait du ciel, il pouvait disposer de l’argent de la terre.

Le roi plaida devant l’archevêque de Narbonne, contre l’évêque de Pamiers, par la bouche de son chancelier Pierre Flotte, à Senlis ; et ce chancelier alla lui-même à Rome rendre compte au pape du procès. Les rois de Cappadoce et de Bithynie en usaient à peu près de même avec la république romaine ; mais, ce qu’ils n’eussent pas fait, Pierre Flotte parla au pontife de Rome comme le ministre d’un souverain réel à un souverain imaginaire ; il lui dit très-expressément « que le royaume de France était de ce monde, et que celui du pape n’en était pas ».

Le pape fut assez hardi pour s’en offenser : il écrit au roi un bref dans lequel on trouve ces paroles : « Sachez que vous nous êtes soumis dans le temporel comme dans le spirituel. » Un historien judicieux et instruit remarque très à propos que ce bref était conservé à Paris dans un ancien manuscrit de la bibliothèque de Saint-Germain des Prés, et que l’on a déchiré le feuillet, en laissant subsister un sommaire qui l’indique, et un extrait qui le rappelle.

Philippe répondit : « A Boniface, prétendu pape, peu ou point de salut ; que votre très-grande fatuité sache que nous ne sommes soumis à personne pour le temporel. » Le même historien observe que cette même réponse du roi est conservée au Vatican : ainsi les Romains modernes ont eu plus de soin de conserver les choses curieuses que les bénédictins de Paris. L’authenticité de ces lettres a été vainement contestée ; je ne crois pas qu’elles aient jamais été revêtues des formes ordinaires, et présentées en cérémonie ; mais elles furent certainement écrites.

Le pontife lança bulles sur bulles, qui toutes déclarent que le pape est le maître des royaumes, que si le roi de France ne lui obéit pas il sera excommunié, et son royaume en interdit, c’est-à-dire qu’il ne sera plus permis de faire les exercices du christianisme, ni de baptiser les enfants, ni d’enterrer les morts. Il semble que ce soit le comble des contradictions de l’esprit humain qu’un évêque chrétien, qui prétend que tous les chrétiens sont ses sujets, veuille empêcher ces prétendus sujets d’être chrétiens, et qu’il se prive ainsi tout d’un coup lui-même de ce qu’il croit son propre bien. Mais vous sentez assez que le pape comptait sur l’imbécillité des hommes ; il espérait que les Français seraient assez lâches pour sacrifier leur roi à la crainte d’être privés des sacrements. Il se trompa : (1303) on brûla sa bulle ; la France s’éleva