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CHAPITRE LXIV.

grands dangers, et que les Maures n’étaient pas plus sages que les chrétiens.

(1200) Enfin toutes les nations chrétiennes de l’Espagne se réunirent pour résister aux forces de l’Afrique, qui tombaient sur eux.

Le miramolin Mahomed-ben-Joseph avait passé la mer avec près de cent mille combattants, au rapport des historiens, qui ont presque tous exagéré ; on doit toujours rabattre beaucoup du nombre des soldats qu’ils mettent en campagne, et de ceux qu’ils tuent, et des trésors qu’ils étalent, et des prodiges qu’ils racontent. Enfin ce miramolin, fortifié encore des Maures d’Andalousie, s’assurait de conquérir l’Espagne. Le bruit de ce grand armement avait réveillé quelques chevaliers français. Les rois de Castille, d’Aragon, de Navarre, se réunirent par le danger. Le Portugal fournit des troupes. (1212) Ces deux grandes armées se rencontrèrent dans les défilés de la Montagne Noire[1] sur les confins de l’Andalousie et de la province de Tolède. L’archevêque de Tolède était à côté du roi de Castille, Alfonse le Noble, et portait la croix à la tête des troupes ; le miramolin tenait un sabre dans une main, et l’Alcoran dans l’autre. Les chrétiens vainquirent, et cette journée se célèbre encore tous les ans à Tolède le 16 juillet ; mais la victoire fut plus illustre qu’utile. Les Maures d’Andalousie furent fortifiés des débris de l’armée d’Afrique, et celle des chrétiens se dissipa bientôt.

Presque tous les chevaliers retournaient chez eux, dans ce temps-là, après une bataille. On savait se battre, mais on ne savait pas faire la guerre ; et les Maures savaient encore moins cet art que les Espagnols. Ni chrétiens ni musulmans n’avaient de troupes continuellement rassemblées sous le drapeau.

L’Espagne, occupée de ses propres afflictions pendant cinq cents ans, ne commença d’avoir part à celles de l’Europe que dans le temps des Albigeois. Nous avons vu[2] comment le roi d’Aragon, Pierre II, fut obligé de secourir ses vassaux du Languedoc et du pays de Foix, qu’on opprimait sous prétexte de religion, et comment il mourut en combattant Montfort, le ravisseur de son fils et le conquérant du Languedoc. Sa veuve, Marie de Montpellier, qui était retirée à Rome, plaida la cause de ce fils, qui régna depuis sous le nom de Jacques Ier, devant le pape Innocent III, et le supplia d’user de son autorité pour le

  1. La Sierra Morena. (Note de Voltaire.)
  2. Chapitre lxii, page 498.