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CHAPITRE LXI.

raconte qu’un Provençal, nommé Droguet[1], violait une femme dans Palerme le lendemain de Pâques[2], dans le temps que le peuple allait à vêpres ; la femme cria, le peuple accourut, on tua le Provençal (1282). Ce premier mouvement d’une vengeance particulière anima la haine générale. Les Siciliens, excités par Jean de Procida et par leur fureur, s’écrièrent qu’il fallait massacrer les ennemis. On fit main basse à Palerme sur tout ce qu’on trouva de Provençaux : la même rage qui était dans tous les cœurs produisit ensuite le même massacre dans le reste de l’île ; on dit qu’on éventrait les femmes grosses pour en arracher les enfants à demi formés, et que les religieux mêmes massacraient leurs pénitentes provençales : il n’y eut, dit-on, qu’un gentilhomme, nommé des Porcellets, qui échappa. Cependant il est certain que le gouverneur de Messine, avec sa garnison, se retira de l’île dans le royaume de Naples[3].

Le sang de Conradin fut ainsi vengé, mais sur d’autres que sur celui qui l’avait répandu. Les Vêpres siciliennes attirèrent encore de nouveaux malheurs à ces peuples qui, nés dans le climat le plus fortuné de la terre, n’en étaient que plus méchants et plus misérables. Il est temps de voir quels nouveaux désastres furent produits dans ce même siècle par l’abus des croisades, et par celui de la religion.


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  1. Pour excuser Droguet, on prétend qu’il se contenta de trousser cette dame dans la rue : j’y consens. (Note de Voltaire.)
  2. Dans les Annales de l’Empire, année 1282, Voltaire dit : le troisième jour de Pâques.
  3. Cette opinion est fondée sur une tradition très-reculée. Porcellet, disent d’anciens écrivains, fut sauvé seul du massacre de Palerme, à cause de sa grande prud’homie et vertu. On prétend qu’un autre Porcellet sauva Richard Cœur de Lion enveloppé par les Sarrasins, en attirant leurs coups sur lui-même. Après sa mort, les Sarrasins trempèrent des linges dans son sang, par une superstition digne de ces temps de valeur et de férocité. Cette famille subsiste encore, mais
    Une pauvreté noble est tout ce qui lui reste.
    Zaïre, I, iv. (K.)