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CHARLES D’ANJOU, MAINFROI, ET CONRADIN.

et adroite des conquérants normands, qui mirent, comme tant d’autres princes, leurs États sous la protection de l’Église, pour arrêter, s’il était possible, par l’excommunication, ceux qui voudraient leur ravir ce qu’ils avaient usurpé. Les papes tournèrent bientôt en hommage cette oblation ; et n’étant pas souverains de Rome, ils étaient suzerains des Deux-Siciles.

L’empereur Frédéric II laissa Naples et la Sicile dans l’état le plus florissant : de sages lois établies, des villes bâties, Naples embellie, les sciences et les arts en honneur, furent ses monuments. Ce royaume devait appartenir à l’empereur Conrad son fils ; on ne sait si Manfredi, que nous nommons Mainfroi, était fils légitime ou bâtard de Frédéric II ; l’empereur semble le regarder dans son testament comme son fils légitime : il lui donne Tarente et plusieurs autres principautés en souveraineté ; il l’institue régent du royaume pendant l’absence de Conrad, et le déclare son successeur, en cas que Conrad et Henri viennent à mourir sans enfants : jusque-là tout paraît paisible. Mais les Italiens n’obéissaient jamais que malgré eux au sang germanique ; les papes détestaient la maison de Souabe, et voulaient la chasser d’Italie ; les partis guelfe et gibelin subsistaient dans toute leur force d’un bout de l’Italie à l’autre.

Le fameux pape Innocent IV, qui avait déposé à Lyon l’empereur Frédéric II, c’est-à-dire qui avait osé le déclarer déposé, prétendait bien que les enfants d’un excommunié ne pouvaient succéder à leur père.

Innocent se hâta donc de quitter Lyon, pour aller sur les frontières de Naples exhorter les barons à ne point obéir à Manfredi, que nous nommons Mainfroi. Cet évêque ne combattait qu’avec les armes de l’opinion ; mais vous avez vu combien ces armes étaient dangereuses. Mainfroi se défia de ses barons, dévots, factieux, et ennemis du sang de Souabe. Il y avait encore des Sarrasins dans la Pouille. L’empereur Frédéric II, son père, avait toujours eu une garde composée de ces mahométans ; la ville de Lucéran, ou Nocéra, était remplie de ces Arabes ; on l’appelait Lucera de’ pagani, la ville des païens. Les mahométans ne méritaient pas à beaucoup près ce nom que les Italiens leur donnaient. Jamais peuple ne fut plus éloigné de ce que nous appelons improprement le paganisme, et ne fut plus fortement attaché sans aucun mélange à l’unité de Dieu. Mais ce terme de païens avait rendu odieux Frédéric II, qui avait employé les Arabes dans ses armées ; il rendit Manfredi plus odieux encore. Manfredi cependant, aidé de ses mahométans, étouffa la révolte, et contint tout