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DE SAINT LOUIS, ET DE LA DERNIÈRE CROISADE.

Il établit le premier la justice de ressort ; et les sujets opprimés par les sentences arbitraires des juges des baronnies commencèrent à pouvoir porter leurs plaintes à quatre grands bailliages royaux créés pour les écouter. Sous lui, des lettrés commencèrent à être admis aux séances de ces parlements dans lesquels des chevaliers, qui rarement savaient lire, décidaient de la fortune des citoyens. Il joignit à la piété d’un religieux la fermeté éclairée d’un roi, en réprimant les entreprises de la cour de Rome par cette fameuse pragmatique qui conserve les anciens droits de l’Église, nommés libertés de l’Église gallicane, s’il est vrai que cette pragmatique soit de lui.

Enfin treize ans de sa présence réparaient en France tout ce que son absence avait ruiné ; mais sa passion pour les croisades l’entraînait. Les papes l’encourageaient. Clément IV lui accordait une décime sur le clergé pour trois ans. Il part enfin une seconde fois, et à peu près avec les mêmes forces. Son frère, Charles d’Anjou, que le pape avait fait roi de Sicile, doit le suivre. Mais ce n’est plus ni du côté de la Palestine ni du côté de l’Égypte, qu’il tourne sa dévotion et ses armes. Il fait cingler sa flotte vers Tunis.

Les chrétiens de Syrie n’étaient plus la race de ces premiers Francs établis dans Antioche et dans Tyr ; c’était une génération mêlée de Syriens, d’Arméniens et d’Européans. On les appelait Poulains, et ces restes sans vigueur étaient pour la plupart soumis aux Égyptiens. Les chrétiens n’avaient plus de villes fortes que Tyr et Ptolémaïs.

Les religieux templiers et hospitaliers, qu’on peut en quelque sens comparer à la milice des mameluks, se faisaient entre eux, dans ces villes mêmes, une guerre si cruelle que, dans un combat de ces moines militaires, il ne resta aucun templier en vie.

Quel rapport y avait-il entre cette situation de quelques métis sur les côtes de Syrie et le voyage de saint Louis à Tunis ? Son frère, Charles d’Anjou, roi de Naples et de Sicile, ambitieux, cruel, intéressé, faisait servir la simplicité héroïque de Louis à ses desseins. Il prétendait que le roi de Tunis lui devait quelques années de tribut ; il voulait se rendre maître de ces pays, et saint Louis espérait, disent tous les historiens (je ne sais sur quel fondement) convertir le roi de Tunis. Étrange manière de gagner ce mahométan au christianisme ! On fait une descente à main armée dans ses États, vers les ruines de Carthage.

Mais bientôt le roi est assiégé lui-même dans son camp par les Maures réunis ; les mêmes maladies que l’intempérance de