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CHAPITRE LVII.

Les chrétiens n’avaient plus d’espérance que dans l’empereur Frédéric II. Jean de Brienne, sorti d’otage, lui donna sa fille et les droits au royaume de Jérusalem pour dot.

L’empereur Frédéric II concevait très-bien l’inutilité des croisades ; mais il fallait ménager les esprits des peuples, et éluder les coups du pape. Il me semble que la conduite qu’il tint est un modèle de saine politique. Il négocie à la fois avec le pape et avec le sultan Mélédin. Son traité étant signé entre le sultan et lui, il part pour la Palestine, mais avec un cortège plutôt qu’avec une armée. A peine est-il arrivé qu’il rend public le traité par lequel on lui cède Jérusalem, Nazareth et quelques villages. Il fait répandre dans l’Europe que sans verser une goutte de sang il a repris les saints lieux. On lui reproche d’avoir laissé, par le traité, une mosquée dans Jérusalem. Le patriarche de cette ville le traitait d’athée ; ailleurs, il était regardé comme un prince qui savait régner.

Il faut avouer, quand on lit l’histoire de ces temps, que ceux qui ont imaginé des romans n’ont guère pu aller par leur imagination au delà de ce que fournit ici la vérité. C’est peu que nous ayons vu, quelques années auparavant, un comte de Flandre qui, ayant fait vœu d’aller à la Terre Sainte, se saisit en chemin de l’empire de Constantinople ; c’est peu que Jean de Brienne, cadet de Champagne, devenu roi de Jérusalem, ait été sur le point de subjuguer l’Égypte. Ce même Jean de Brienne, n’ayant plus d’États, marche presque seul au secours de Constantinople : il arrive pendant un interrègne, et on l’élit empereur (1224). Son successeur, Baudouin II, dernier empereur latin de Constantinople, toujours pressé par les Grecs, courait, une bulle du pape à la main, implorer en vain le secours de tous les princes de l’Europe ; tous les princes étaient alors hors de chez eux : les empereurs d’Occident couraient à la Terre Sainte ; les papes étaient presque toujours en France, et les rois prêts à partir pour la Palestine.

Thibaud de Champagne, roi de Navarre, si célèbre par l’amour qu’on lui suppose pour la reine Blanche, et par ses chansons, fut aussi un de ceux qui s’embarquèrent alors pour la Palestine (1240). Il revint la même année, et c’était être heureux. Environ soixante et dix chevaliers français, qui voulurent se signaler avec lui, furent tous pris et menés au Grand-Caire, au neveu de Mélédin, nommé Mélecsala, qui, ayant hérité des États et des vertus de son oncle, les traita humainement, et les laissa enfin retourner dans leur patrie pour une rançon modique.

En ce temps le territoire de Jérusalem n’appartint plus ni aux