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DE L’ORIENT AU TEMPS DES CROISADES.

de Rome n’étaient rien. Le califat est tombé sans retour, et les papes sont peu à peu devenus de grands souverains, affermis, respectés de leurs voisins, et qui ont fait de Rome la plus belle ville de la terre.

Il y avait donc, au temps de la première croisade, un calife à Bagdad qui donnait des investitures, et un sultan turc qui régnait. Plusieurs autres usurpateurs turcs et quelques Arabes étaient cantonnés en Perse, dans l’Arabie, dans l’Asie Mineure. Tout était divisé ; et c’est ce qui pouvait rendre les croisades heureuses. Mais tout était armé, et ces peuples devaient combattre sur leur terrain avec un grand avantage.

L’empire de Constantinople se soutenait : tous ses princes n’avaient pas été indignes de régner. Constantin Porphyrogénète, fils de Léon le Philosophe, et philosophe lui-même, fit renaître, comme son père, des temps heureux. Si le gouvernement tomba dans le mépris sous Romain, fils de Constantin, il devint respectable aux nations sous Nicéphore Phocas, qui avait repris Candie avant d’être empereur (961). Si Jean Zimiscès assassina Nicéphore, et souilla de sang le palais ; s’il joignit l’hypocrisie à ses crimes, il fut d’ailleurs le défenseur de l’empire contre les Turcs et les Bulgares. Mais sous Michel Paphlagonate on avait perdu la Sicile ; sous Romain Diogène, presque tout ce qui restait vers l’orient, excepté la province de Pont ; et cette province, qu’on appelle aujourd’hui Turcomanie, tomba bientôt après sous le pouvoir du Turc Soliman, qui, maître de la plus grande partie de l’Asie Mineure, établit le siège de sa domination à Nicée, et menaçait de là Constantinople au temps où commencèrent les croisades.

L’empire grec était donc borné alors presque à la ville impériale du côté des Turcs ; mais il s’étendait dans toute la Grèce, la Macédoine, la Thessalie, la Thrace, l’Illyrie, l’Épire, et avait même encore l’île de Candie. Les guerres continuelles, quoique toujours malheureuses, contre les Turcs, entretenaient un reste de courage. Tous les riches chrétiens d’Asie qui n’avaient pas voulu subir le joug mahométan s’étaient retirés dans la ville impériale, qui par là même s’enrichit des dépouilles des provinces. Enfin, malgré tant de pertes, malgré les crimes et les révolutions du palais, cette ville, à la vérité déchue, mais immense, peuplée, opulente, et respirant les délices, se regardait comme la première du monde. Les habitants s’appelaient Romains, et non Grecs. Leur État était l’empire romain ; et les peuples d’Occident, qu’ils nommaient Latins, n’étaient à leurs yeux que des barbares révoltés.

La Palestine n’était que ce qu’elle est aujourd’hui, un des plus