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CHAPITRE LII.

toribus : on a cherché ce livre de siècle en siècle, et on ne l’a jamais trouvé[1].

Ces accusations, qui n’avaient rien de commun avec la Sardaigne, n’empêchèrent pas que l’empereur ne la gardât : les divisions entre Frédéric et le saint-siége n’eurent jamais la religion pour objet ; et cependant les papes l’excommuniaient, publiaient contre lui des croisades, et le déposaient. Un cardinal, nommé Jacques de Vitry, évêque de Ptolémaïde en Palestine, apporta en France au jeune Louis IX des lettres de ce pape Grégoire, par lesquelles Sa Sainteté, ayant déposé Frédéric II, transférait de son autorité l’empire à Robert, comte d’Artois, frère du jeune roi de France. C’était mal prendre son temps : la France et l’Angleterre étaient en guerre, les barons de France, soulevés dans la minorité de Louis, étaient encore puissants dans sa majorité. On prétend qu’ils répondirent « qu’un frère d’un roi de France n’avait pas besoin d’un empire, et que le pape avait moins de religion que Frédéric II ». Une telle réponse est trop peu vraisemblable pour être vraie.

Rien ne fait mieux connaître les mœurs et les usages de ce temps que ce qui se passa au sujet de cette demande du pape.

Il s’adressa aux moines de Cîteaux, chez lesquels il savait que saint Louis devait venir en pèlerinage avec sa mère. Il écrivit au chapitre : « Conjurez le roi qu’il prenne la protection du pape contre le fils de Satan, Frédéric ; il est nécessaire que le roi me reçoive dans son royaume, comme Alexandre III y fut reçu contre la persécution de Frédéric Ier, et saint Thomas de Cantorbéry contre celle de Henri II, roi d’Angleterre. »

Le roi alla en effet à Cîteaux, où il fut reçu par cinq cents moines qui le conduisirent au chapitre : là, ils se mirent tous à genoux devant lui ; et, les mains jointes, le prièrent de laisser passer le pape en France. Louis se mit aussi à genoux devant les moines, leur promit de défendre l’Église ; mais il leur dit expressément « qu’il ne pouvait recevoir le pape sans le consentement des barons du royaume, dont un roi de France devait suivre les avis ». Grégoire meurt ; mais l’esprit de Rome vit toujours. Innocent IV, l’ami de Frédéric quand il était cardinal, devient nécessairement son ennemi dès qu’il est souverain pontife. Il fallait, à

  1. On en a fait de nos jours sous le même titre. (Note de Voltaire.) — Cette note, ajoutée dans l’édition de 1775, regarde l’ouvrage français intitulé Traité des trois Imposteurs, qui avait été publié en 1768, et à l’occasion duquel Voltaire composa une Êpître en vers, au commencement de 1769. Voyez tome X, page 402. (B.)