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DE L’EMPEREUR HENRI VI, ET DE ROME.

Tancrède, les Deux-Siciles proclamèrent son jeune fils (1193) : il fallait que Henri prévalût.

Une des plus grandes lâchetés qu’un souverain puisse commettre servit à ses conquêtes. L’intrépide roi d’Angleterre, Richard Cœur-de-Lion, en revenant d’une de ces croisades dont nous parlerons, fait naufrage près de la Dalmatie ; il passe sur les terres d’un duc d’Autriche. (1194) Ce duc viole l’hospitalité, charge de fers le roi d’Angleterre, le vend à l’empereur Henri VI, comme les Arabes vendent leurs esclaves. Henri en tire une grosse rançon, et avec cet argent va conquérir les Deux-Siciles ; il fait exhumer le corps du roi Tancrède, et par une barbarie aussi atroce qu’inutile, le bourreau coupe la tête au cadavre. On crève les yeux au jeune roi son fils, on le fait eunuque, on le confine dans une prison à Coire, chez les Grisons. On enferme ses sœurs en Alsace avec leur mère. Les partisans de cette famille infortunée, soit barons, soit évêques, périssent dans les supplices. Tous les trésors sont enlevés et portés en Allemagne.

Ainsi passèrent Naples et Sicile aux Allemands, après avoir été conquis par des Français. Ainsi vingt provinces ont été sous la domination de souverains que la nature a placés à trois cents lieues d’elles : éternel sujet de discorde, et preuve de la sagesse d’une loi telle que la Salique, loi qui serait encore plus utile à un petit État qu’à un grand. Henri VI alors fut beaucoup plus puissant que Frédéric Barberousse. Presque despotique en Allemagne, souverain en Lombardie, à Naples, en Sicile, suzerain de Rome, tout tremblait sous lui. Sa cruauté le perdit ; sa propre femme Constance, dont il avait exterminé la famille, conspira contre ce tyran, et enfin, dit-on, le fit empoisonner.

(1198) A la mort de Henri VI, l’empire d’Allemagne est divisé. La France ne l’était pas ; c’est que les rois de France avaient été assez prudents ou assez heureux pour établir l’ordre de la succession. Mais ce titre d’empire, que l’Allemagne affectait, servait à rendre la couronne élective. Tout évêque et tout grand seigneur donnait sa voix. Ce droit d’élire et d’être élu flattait l’ambition des princes, et fit quelquefois les malheurs de l’État.

(1198) Le jeune Frédéric II, fils de Henri VI, sortait du berceau. Une faction l’élit empereur, et donne à son oncle Philippe[1] le titre de roi des Romains : un autre parti couronne Othon de Brunswick, son neveu. Les papes tirèrent bien un autre fruit des

  1. C’est cet empereur Philippe qui érigea la Bohême en royaume. Il fut assassiné par un seigneur de Vitelsbach, en 1208. (Note de Voltaire.)