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CHAPITRE XLVIII.

bien que les alliés de l’empereur reconnussent le même pape que lui, et que les rois jaloux de l’empereur reconnussent l’autre. Le scandale de Rome était donc nécessairement le signal de la division de l’Europe. Victor IV fut le pape de Frédéric Barberousse. L’Allemagne, la Bohême, la moitié de l’Italie, lui adhérèrent. Le reste reconnut Alexandre. Ce fut en l’honneur de cet Alexandre que les Milanais, ennemis de l’empereur, bâtirent Alexandrie. Les partisans de Frédéric voulurent en vain qu’on la nommât Césarée ; mais le nom du pape prévalut, et elle fut nommée Alexandrie de la paille ; surnom qui fait sentir la différence de cette petite ville, et des autres de ce nom bâties autrefois en l’honneur du véritable Alexandre.

Heureux ce siècle s’il n’eût produit que de telles disputes ! mais les Allemands voulaient toujours dominer en Italie, et les Italiens voulaient être libres. Ils avaient certes un droit plus naturel à la liberté qu’un Allemand n’en avait d’être leur maître.

Les Milanais donnent l’exemple. Les bourgeois, devenus soldats, surprennent vers Lodi les troupes de l’empereur, et les battent. S’ils avaient été secondés par les autres villes, l’Italie prenait une face nouvelle. Mais Frédéric rétablit son armée. (1162) Il assiége Milan, il condamne par un édit les citoyens à la servitude, fait raser les murs et les maisons, et semer du sel sur leurs ruines. C’était bien justifier les papes que d’en user ainsi. Brescia, Plaisance, furent démantelées par le vainqueur. Les autres villes qui avaient aspiré à la liberté perdirent leurs priviléges. Mais le pape Alexandre, qui les avait toutes excitées, revint à Rome après la mort de son rival : il rapporta avec lui la guerre civile. Frédéric fit élire un autre pape, et, celui-ci mort, il en fit nommer encore un autre. Alors Alexandre III se réfugie en France, asile naturel de tout pape ennemi d’un empereur ; mais le feu qu’il a allumé reste dans toute sa force. Les villes d’Italie se liguent ensemble pour le maintien de leur liberté. Les Milanais rebâtissent Milan malgré l’empereur. Le pape enfin, en négociant, fut plus fort que l’empereur en combattant. Il fallut que Frédéric Barberousse pliât. Venise[1] eut l’honneur de la réconciliation (1177). L’empereur, le pape, une foule de princes et de cardinaux, se rendirent dans cette ville, déjà maîtresse de la mer, et une des merveilles du monde. L’empereur y finit la querelle en reconnaissant le pape, en baisant ses pieds, et en tenant son étrier sur le rivage de la mer. Tout fut à l’avantage de l’Église. Frédéric Barberousse

  1. Après avoir battu l’empereur à Lugnano.