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CHAPITRE XLVI.

ceux qui recevront des bénéfices des mains des laïques, et tout laïque qui les conférera. Il avait conçu le dessein d’ôter à tout les collateurs séculiers le droit d’investir les ecclésiastiques. C’était mettre l’Église aux prises avec tous les rois. Son humeur violente éclate en même temps contre Philippe Ier roi de France. Il s’agissait de quelques marchands italiens que les Français avaient rançonnés. Le pape écrit une lettre circulaire aux évêques de France. « Votre roi, leur dit-il, est moins roi que tyran ; il passe sa vie dans l’infamie et dans le crime. » Et, après ces paroles indiscrètes, suit la menace ordinaire de l’excommunication.

Bientôt après, tandis que l’empereur Henri est occupé dans une guerre civile contre les Saxons, le pape lui envoie deux légats pour lui ordonner de venir répondre aux accusations intentées contre lui d’avoir donné l’investiture des bénéfices, et pour l’excommunier en cas de refus. Les deux porteurs d’un ordre si étrange trouvent l’empereur vainqueur des Saxons, comblé de gloire et plus puissant qu’on ne l’espérait. On peut se figurer avec quelle hauteur un empereur de vingt-cinq ans, victorieux et jaloux de son rang, reçut une telle ambassade. Il n’en fit pas le châtiment exemplaire, que l’opinion de ces temps-là ne permettait pas, et n’opposa en apparence que du mépris à l’audace : il abandonna ces légats indiscrets aux insultes des valets de sa cour (1076).

Presque au même temps, le pape excommunia encore ces Normands, princes de la Pouille et de la Calabre (comme nous l’avons dit précédemment). Tant d’excommunications à la fois paraîtraient aujourd’hui le comble de la folie. Mais qu’on fasse réflexion que Grégoire VII, en menaçant le roi de France, adressait sa bulle au duc d’Aquitaine, vassal du roi, aussi puissant que le roi même ; que, quand il éclatait contre l’empereur, il avait pour lui une partie de l’Italie, la comtesse Mathilde, Rome, et la moitié de l’Allemagne ; qu’à l’égard des Normands, ils étaient dans ce temps-là ses ennemis déclarés ; alors Grégoire VII paraîtra plus violent et plus audacieux qu’insensé. Il sentait qu’en élevant sa dignité au-dessus de l’empereur et de tous les rois, il serait secondé des autres Églises, flattées d’être les membres d’un chef qui humiliait la puissance séculière. Son dessein était formé non-seulement de secouer le joug des empereurs, mais de mettre Rome, empereurs et rois, sous le joug de la papauté. Il pouvait lui en coûter la vie, il devait même s’y attendre, et le péril donne de la gloire.