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CHAPITRE XLV.

l’inspiration de l’Église et son infaillibilité, qui ne sont pas du ressort de l’histoire. Il est certain qu’en faisant du mariage un sacrement, on faisait de la fidélité des époux un devoir plus saint, et de l’adultère une faute plus odieuse ; que la croyance d’un dieu réellement présent dans l’eucharistie, passant dans la bouche et dans l’estomac d’un communiant, le remplissait d’une terreur religieuse. Quel respect ne devait-on pas avoir pour ceux qui changeaient d’un mot le pain en dieu, et surtout pour le chef d’une religion qui opérait un tel prodige ! Quand la simple raison humaine combattit ces mystères, elle affaiblit l’objet de sa vénération ; et la multiplicité des prêtres, en rendant le prodige trop commun, le rendit moins respectable aux peuples.

Il ne faut pas omettre l’usage qui commença à s’introduire dans le xie siècle, de racheter par les aumônes et par les prières des vivants les peines des morts, de délivrer leurs âmes du purgatoire, et l’établissement d’une fête solennelle consacrée à cette piété.

L’opinion d’un purgatoire, ainsi que d’un enfer, est de la plus haute antiquité ; mais elle n’est nulle part si clairement exprimée que dans le VIe livre de l’Énéide[1] de Virgile, dans lequel on retrouve la plupart des mystères de la religion des gentils.

Ergo exercentur pœnis, veterumque malorum
Supplicia expendunt, etc.

Cette idée fut peu à peu sanctifiée dans le christianisme ; et on la porta jusqu’à croire que l’on pouvait par des prières modérer les arrêts de la Providence, et obtenir de Dieu la grâce d’un mort condamné dans l’autre vie à des peines passagères.

Le cardinal Pierre Damien, celui-là même qui conte que la femme du roi Robert accoucha d’une oie, rapporte qu’un pèlerin revenant de Jérusalem fut jeté par la tempête dans une île où il trouva un bon ermite, lequel lui apprit que cette île était habitée par les diables ; que son voisinage était tout couvert de flammes, dans lesquelles les diables plongeaient les âmes des trépassés ; que ces mêmes diables ne cessaient de crier et de hurler contre saint Odillon, abbé de Cluny, leur ennemi mortel. Les prières de cet Odillon, disaient-ils, et celles de ses moines, nous enlèvent toujours quelque âme.

Ce rapport ayant été fait à Odillon, il institua dans son cou-

  1. Vers 730 et suiv.