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CHAPITRE XLII.

née[1]. Les troupes, de part et d’autre, étaient composées de fantassins, Harold et deux de ses frères y furent tués. Le vainqueur s’approcha de Londres, portant devant lui une bannière bénite que le pape lui avait envoyée. Cette bannière fut l’étendard auquel tous les évêques se rallièrent en sa faveur. Ils vinrent aux portes, avec le magistrat de Londres, lui offrir la couronne, qu’on ne pouvait refuser au vainqueur.

Quelques auteurs appellent ce couronnement une élection libre, un acte d’autorité du parlement d’Angleterre. C’est précisément l’autorité des esclaves faits à la guerre, qui accorderaient à leurs maîtres le droit de les fustiger.

Guillaume ayant reçu une bannière du pape pour cette expédition, lui envoya en récompense l’étendard du roi Harold tué dans la bataille, et une petite partie du petit trésor que pouvait avoir alors un roi anglais. C’était un présent considérable pour ce pape Alexandre II, qui disputait encore son siège à Honorius II, et qui, sur la fin d’une longue guerre civile dans Rome, était réduit à l’indigence. Ainsi un barbare, fils d’une prostituée, meurtrier d’un roi légitime, partage les dépouilles de ce roi avec un autre barbare : car, ôtez les noms de duc de Normandie, de roi d’Angleterre, et de pape, tout se réduit à l’action d’un voleur normand, et d’un receleur lombard : et c’est au fond à quoi toute usurpation se réduit.

Guillaume sut gouverner comme il sut conquérir. Plusieurs révoltes étouffées, des irruptions de Danois rendues inutiles, des lois rigoureuses durement exécutées, signalèrent son règne. Anciens Bretons, Danois, Anglo-Saxons, tous furent confondus dans le même esclavage. Les Normands qui avaient eu part à sa victoire partagèrent par ses bienfaits les terres des vaincus. De là toutes ces familles normandes dont les descendants, ou du moins les noms, subsistent encore en Angleterre. Il fit faire un dénombrement exact de tous les biens des sujets, de quelque nature qu’ils fussent. On prétend qu’il en profita pour se faire en Angleterre un revenu de quatre cent mille livres sterling, environ cent vingt millions de France. Il est évident qu’en cela les historiens se sont trompés. L’État d’Angleterre d’aujourd’hui, qui comprend l’Écosse et l’Irlande, n’a pas un plus gros revenu, si vous en déduisez ce qu’on paye pour les anciennes dettes du gouvernement. Ce qui est sûr, c’est que Guillaume abolit toutes les lois du pays pour y introduire celles de Normandie. Il ordonna qu’on plaidât en nor-

  1. C’est une erreur. Voyez le récit de la bataille dans Augustin Thierry.