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CHAPITRE XLII.

Vous voyez toujours les usages et les mœurs de ces temps-là absolument différents des nôtres. Guillaume, duc de Normandie, qui conquit l’Angleterre, loin d’avoir aucun droit sur ce royaume, n’en avait pas même sur la Normandie, si la naissance donnait les droits. Son père, le duc Robert, qui ne s’était jamais marié, l’avait eu de la fille d’un pelletier de Falaise, que l’histoire appelle Harlot, terme qui signifiait et signifie encore aujourd’hui en anglais concubine ou femme publique[1]. L’usage des concubines, permis dans tout l’Orient et dans la loi des Juifs, ne l’était pas dans la nouvelle loi : il était autorisé par la coutume. On rougissait si peu d’être né d’une pareille union, que souvent Guillaume, en écrivant, signait le bâtard Guillaume. Il est resté une lettre de lui au comte Alain de Bretagne, dans laquelle il signe ainsi. Les bâtards héritaient souvent ; car dans tous les pays où les hommes n’étaient pas gouvernés par des lois fixes, publiques et reconnues, il est clair que la volonté d’un prince puissant était le seul code. Guillaume fut déclaré par son père et par les états héritier du duché ; et il se maintint ensuite par son habileté et par sa valeur contre tous ceux qui lui disputèrent son domaine. Il régnait paisiblement en Normandie, et la Bretagne lui rendait hommage, lorsque, Édouard le Confesseur étant mort, il prétendit au royaume d’Angleterre.

Le droit de succession ne paraissait alors établi dans aucun État de l’Europe. La couronne d’Allemagne était élective, l’Es-

  1. Robert la rencontra près d’un ruisseau, lavant du linge, et fit marché avec les parents. Quant à son nom, Aug. Thierry dit qu’elle s’appelait Arlète, nom corrompu en langue romane de l’ancien nom danois Herlève. (G. A.)