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DE LA SICILE EN PARTICULIER.

tinople. Bohémond, son fils d’un premier lit, si fameux dans les croisades, l’accompagnait à cette conquête d’un empire. Nous voyons par là combien Alexis Comnène eut raison de craindre les croisades, puisque Bohémond commença par vouloir le détrôner. (1085) La mort de Robert, dans l’île de Corfou, mit fin à ses entreprises. La princesse Anne Comnène, fille de l’empereur Alexis, laquelle écrivit une partie de cette histoire, ne regarde Robert que comme un brigand, et s’indigne qu’il ait eu l’audace de marier sa fille au fils d’un empereur. Elle devait songer que l’histoire même de l’empire lui fournissait des exemples de fortunes plus considérables, et que tout cède dans le monde à la force et à la puissance.

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CHAPITRE XLI[1].


De la Sicile en particulier, et du droit de légation
dans cette île.


L’idée de conquérir l’empire de Constantinople s’évanouit avec la vie de Robert ; mais les établissements de sa famille s’affermirent en Italie. Le comte Roger, son frère, resta maître de la Sicile ; le duc Roger, son fils, demeura possesseur de presque tous les pays qui ont le nom de royaume de Naples ; Bohémond, son autre fils, alla depuis conquérir Antioche, après avoir inutilement tenté de partager les États du duc Roger, son frère.

Pourquoi ni le comte Roger, souverain de Sicile, ni son neveu Roger, duc de la Pouille, ne prirent-ils point dès lors le titre de rois ? Il faut du temps à tout. Robert Guiscard, le premier conquérant, avait été investi comme duc par le pape Nicolas II. Roger, son frère, avait été investi par Robert Guiscard, en qualité de comte de Sicile. Toutes ces cérémonies ne donnaient que des noms, et n’ajoutaient rien au pouvoir. Mais ce comte de Sicile eut un droit qui s’est conservé toujours, et qu’aucun roi de l’Europe n’a eu : il devint un second pape dans son île.

  1. M. Éd. Gauttier, auteur de l’Histoire des conquêtes des Normands en Italie, en Sicile et en Grèce, a trouvé quelques inexactitudes dans ce chapitre. (B)