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donation. Les nouveaux princes normands étaient des voisins dangereux. Il n’y a point de conquêtes sans de très-grandes injustices : ils en commettaient, et l’empereur aurait voulu avoir des vassaux moins redoutables. Léon IX, après les avoir excommuniés, se mit en tête de les aller combattre avec une armée d’Allemands que Henri III lui fournit. L’histoire ne dit point comment les dépouilles devaient être partagées : elle dit seulement que l’armée était nombreuse, que le pape y joignit des troupes italiennes, qui s’enrôlèrent comme pour une guerre sainte, et que parmi les capitaines il y eut beaucoup d’évêques. Les Normands, qui avaient toujours vaincu en petit nombre, étaient quatre fois moins forts que le pape ; mais ils étaient accoutumés à combattre. Robert Guiscard, son frère Humfroi, le comte d’Averse, Richard, chacun à la tête d’une troupe aguerrie, taillèrent en pièces l’armée allemande, et firent disparaître l’italienne. Le pape s’enfuit à Civitade, dans la Capitanate, près du champ de bataille ; les Normands le suivent, le prennent, l’emmènent prisonnier dans cette même ville de Bénévent, qui était le premier sujet de cette entreprise (1053).

On a fait un saint de ce pape Léon IX : apparemment qu’il fit pénitence d’avoir fait inutilement répandre tant de sang, et d’avoir mené tant d’ecclésiastiques à la guerre. Il est sûr qu’il s’en repentit, surtout quand il vit avec quel respect le traitèrent ses vainqueurs, et avec quelle inflexibilité ils le gardèrent prisonnier une année entière. Ils rendirent Bénévent aux princes lombards, et ce ne fut qu’après l’extinction de cette maison que les papes eurent enfin la ville.

On conçoit aisément que les princes normands étaient plus piqués contre l’empereur, qui avait fourni une armée redoutable, que contre le pape, qui l’avait commandée. Il fallait s’affranchir pour jamais des prétentions ou des droits de deux empires entre lesquels ils se trouvaient. Ils continuent leurs conquêtes ; ils s’emparent de la Calabre et de Capoue pendant la minorité de l’empereur Henri IV, et tandis que le gouvernement des Grecs est plus faible qu’une minorité.

C’étaient les enfants de Tancrède de Hauteville qui conquéraient la Calabre ; c’étaient les descendants des premiers libérateurs qui conquéraient Capoue. Ces deux dynasties victorieuses n’eurent point de ces querelles qui divisent si souvent les vainqueurs, et qui les affaiblissent. L’utilité de l’histoire demande ici que je m’arrête un moment pour observer que Richard d’Averse, qui subjugua Capoue, se fit couronner avec les mêmes cérémo-