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CHAPITRE XXVII.

Les mahométans étaient maîtres, comme ils le sont encore, de toute cette partie de l’Afrique qui avait appartenu aux Romains. Ils venaient d’y jeter les premiers fondements de la ville de Maroc, près du mont Atlas. Le calife Valid Almanzor, maître de cette belle partie de la terre, résidait à Damas en Syrie. Son vice-roi, Muzza, qui gouvernait l’Afrique, fit par un de ses lieutenants la conquête de toute l’Espagne. Il y envoya d’abord son général Tarik, qui gagna, en 714, cette célèbre bataille dans les plaines de Xérès, où Rodrigue perdit la vie. On prétend que les Sarrasins ne tinrent pas leurs promesses à Julien, dont ils se défiaient sans doute. L’archevêque Opas fut plus satisfait d’eux. Il prêta serment de fidélité aux mahométans, et conserva sous eux beaucoup d’autorité sur les églises chrétiennes, que les vainqueurs toléraient.

Pour le roi Rodrigue, il fut si peu regretté que sa veuve Égilone épousa publiquement le jeune Abdélazis, fils du conquérant Muzza, dont les armes avaient fait périr son mari, et réduit en servitude son pays et sa religion.

Les vainqueurs n’abusèrent point du succès de leurs armes ; ils laissèrent aux vaincus leurs biens, leurs lois, leur culte, satisfaits d’un tribut et de l’honneur de commander. Non-seulement la veuve du roi Rodrigue épousa le jeune Abdélazis, mais, à son exemple, le sang des Maures et des Espagnols se mêla souvent. Les Espagnols, si scrupuleusement attachés depuis à leur religion, la quittèrent en assez grand nombre pour qu’on leur donnât alors le nom de Mosarabes, qui signifiait, dit-on, moitié Arabes, au lieu de celui de Visigoths que portait auparavant leur royaume. Ce nom de Mosarabes n’était point outrageant, puisque les Arabes étaient les plus cléments de tous les conquérants de la terre, et qu’ils apportèrent en Espagne de nouvelles sciences et de nouveaux arts.

L’Espagne avait été soumise en quatorze mois à l’empire des califes, à la réserve des cavernes et des rochers de l’Asturie. Le Goth Pélage Teudomer, parent du dernier roi Rodrigue, caché dans ces retraites, y conserva sa liberté. Je ne sais comment on a pu donner le nom de roi à ce prince, qui en était peut-être digne, mais dont toute la royauté se borna à n’être point captif. Les historiens espagnols, et ceux qui les ont suivis, lui font remporter de grandes victoires, imaginent des miracles en sa faveur, lui établissent une cour, lui donnent son fils Favila et son gendre Alfonse pour successeurs tranquilles dans ce prétendu royaume. Mais comment dans ce temps-là même les mahométans, qui,