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butin ; et c’est la loi la plus inviolable de tous les premiers peuples conquérants. Si on avait besoin de preuve pour faire connaître cette première loi des barbares, on la trouverait aisément dans l’exemple de ce guerrier franc qui ne voulut jamais permettre que Clovis ôtât du butin général un vase de l’église de Reims, et qui fendit le vase à coups de hache, sans que le chef osât l’en empêcher.

Clovis devint despotique à mesure qu’il devint puissant ; c’est la marche de la nature humaine. Il en fut ainsi de Charlemagne ; il était fils d’un usurpateur. Le fils du roi légitime était rasé et condamné à dire son bréviaire dans un couvent de Normandie. Il était donc obligé à de très-grands ménagements devant une nation de guerriers assemblée en parlement. « Nous vous avertissons, dit-il dans un de ses Capitulaires, qu’en considération de notre humilité, et de notre obéissance à vos conseils, que nous vous rendons par la crainte de Dieu, vous nous conserviez l’honneur que Dieu nous a accordé, comme vos ancêtres l’ont fait à l’égard de nos ancêtres. »

Ses ancêtres se réduisaient à son père, qui avait envahi le royaume : lui-même avait usurpé le partage de son frère, et avait dépouillé ses neveux. Il flattait les seigneurs en parlement ; mais, le parlement dissous, malheur à quiconque eût bravé ses volontés !

Quant à la succession, il est naturel qu’un chef de conquérants les ait engagés à élire son fils pour son successeur. Cette coutume d’élire, devenue avec le temps plus légale et plus consacrée, se maintient encore de nos jours dans l’empire d’Allemagne, L’élection était si bien regardée comme un droit du peuple conquérant que, lorsque Pépin usurpa le royaume des Francs sur le roi dont il était le domestique, le pape Étienne, avec lequel cet usurpateur était d’accord, prononça une excommunication contre ceux qui éliraient pour roi un autre qu’un descendant de la race de Pépin, Cette excommunication était à la vérité un grand exemple de superstition, comme l’entreprise de Pépin était un exemple d’audace ; mais cette superstition même est une preuve du droit d’élire ; elle fait voir encore que la nation conquérante élisait, parmi les descendants d’un chef, celui qui lui plaisait davantage. Le pape ne dit pas : « Vous élirez les premiers nés de la maison de Pepin » ; mais : « vous ne choisirez point ailleurs que dans sa maison ».

Charlemagne dit dans un capitulaire[1] : « Si de l’un des trois

  1. Code diplomatique, p. 4. (Note de Voltaire.)