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CHAPITRE XVI.

vient se jeter aux genoux du patrice Charlemagne à Paderborn. Ce prince, qui agissait déjà en maître absolu, le renvoya avec une escorte et des commissaires pour le juger. Ils avaient ordre de le trouver innocent. Enfin Charlemagne, maître de l’Italie, comme de l’Allemagne et de la France, juge du pape, arbitre de l’Europe, vient à Rome à la fin de l’année 799. L’année commençait alors à Noël chez les Romains. Léon III le proclame empereur d’Occident pendant la messe, le jour de Noël, en 800. Le peuple joint ses acclamations à cette cérémonie. Charles feint d’être étonné, et notre abbé Velli, copiste de nos légendaires, dit que « rien ne fut égal à sa surprise ». Mais la vérité est que tout était concerté entre lui et le pape, et qu’il avait apporté des présents immenses qui lui assuraient le suffrage de l’évêque et des premiers de Rome. On voit, par des chartes accordées aux Romains en qualité de patrice, qu’il avait déjà brigué hautement l’empire ; on y lit ces propres mots : « Nous espérons que notre munificence pourra nous élever à la dignité impériale[1]. »

Voilà donc le fils d’un domestique, d’un de ces capitaines francs que Constantin avait condamnés aux bêtes, élevé à la dignité de Constantin. D’un côté un Franc, de l’autre une famille thrace, partagent l’empire romain. Tel est le jeu de la fortune.

On a écrit, et on écrit encore que Charles, avant même d’être empereur, avait confirmé la donation de l’exarchat de Ravenne ; qu’il y avait ajouté la Corse, la Sardaigne, la Ligurie, Parme, Mantoue, les duchés de Spolette et de Bénévent, la Sicile, Venise, et qu’il déposa l’acte de cette donation sur le tombeau dans lequel on prétend que reposent les cendres de saint Pierre et saint Paul.

On pourrait mettre cette donation à côté de celle de Constantin[2]. On ne voit point que jamais les papes aient possédé aucun de ces pays jusqu’au temps d’Innocent III. S’ils avaient eu l’exarchat, ils auraient été souverains de Ravenne et de Rome ; mais dans le testament de Charlemagne, qu’Éginhard nous a conservé, ce monarque nomme, à la tête des villes métropolitaines qui lui appartiennent, Rome et Ravenne, auxquelles il fait des présents. Il ne put donner ni la Sicile, ni la Corse, ni la Sardaigne, qu’il ne possédait pas ; ni le duché de Bénévent, dont il avait à peine la souveraineté, encore moins Venise, qui ne le reconnaissait pas pour empereur. Le duc de Venise reconnaissait

  1. Voyez l’annaliste Rerum Italicarum, tome II. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez les Éclaircissements (Mélanges, année 1763). (Id.)